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atlas des peuples autochtones du Canada

Les Métis et la Constitution

man standing behind a podium wearing brown jacket, black hat, and blue ring
Harry Daniels lors d’une conférence de presse, Ottawa, janvier 1998

Harry Daniels – 1982

Au Canada, les droits ancestraux des peuples autochtones ont été reconnus à des moments différents.

En 1867, seules les Premières Nations (les « Indiens inscrits ») ont été reconnues comme appartenant à leur juridiction. En effet, selon l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les Premières Nations, ou les « Indiens » comme on les appelait, tombaient sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Par contre, les Indiens « émancipés », ceux devenus des « citoyens » à l’instar des Eurocanadiens, étaient dorénavant des « Indiens non inscrits », perdant de ce fait leurs droits ancestraux. Cette forme de responsabilité d’État se nomme « compétence ». En 1939, la Cour suprême du Canada a décrété que les Inuits étaient aussi des « Indiens » au sens constitutionnel du terme. Ceux-ci ont donc relevé, à partir de ce moment, de la compétence du gouvernement fédéral.

Quant aux Métis, ils n’avaient pas encore, à cette époque, le statut de peuple autochtone, et ce, même si la Loi sur le Manitoba les définissait comme tels et reconnaissait leurs droits ancestraux au moyen de concessions de terre. Dans la foulée de cette loi, on a émis les certificats de Métis, qui visaient à gérer les droits qu’ils pouvaient détenir sur les terres à titre de peuple autochtone en vertu de la Loi sur le Manitoba.

Pendant de nombreuses années, les Métis ont ensuite été plongés dans une impasse juridique, personne, du fédéral ou des provinces, ne voulant que lui échoie leur responsabilité. Comme les Premières Nations et les Inuits, les Métis étaient marginalisés et subissaient les contrecoups de la colonisation, notamment le racisme, le déplacement social et l’ostracisme économique. Seule différence : les Métis, qui n’étaient pas confinés dans des réserves, disposaient d’une plus grande liberté de mouvement. Pour les activistes métis, l’absence de reconnaissance des droits ancestraux des Métis dans la constitution canadienne était par ailleurs une question litigieuse depuis les années 1930.

À la fin des années 1970, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a annoncé qu’il souhaitait rapatrier la constitution canadienne – jusqu’en 1982, celle-ci a été une loi du Parlement britannique. Les groupes autochtones de partout au pays ont alors lancé une campagne pour s’assurer qu’on allait les inclure dans la nouvelle Constitution. Ils voulaient que l’on tourne la page à la théorie colonialiste du pacte fédératif « à deux nations » (anglaise et française), et que l’on enchâsse explicitement les droits des peuples autochtones dans la nouvelle Constitution. S’est ensuivie une série de conférences des premiers ministres, desquelles les leaders autochtones ont initialement été exclus, même aux fins de consultation. Ceux-ci ont par la suite été invités à y participer, mais seulement quand il était question de l’insertion des Autochtones dans la Constitution.

Des leaders autochtones, comme Harry Daniels (1940-2004), ancien président du Conseil national des autochtones du Canada, qui représentait les Métis et les Indiens non inscrits, ont alors fait campagne au Canada et au Royaume-Uni (où allait avoir lieu le vote sur le rapatriement de la Constitution) pour voir à ce que les droits ancestraux des peuples autochtones fassent bien partie de la nouvelle Constitution. M. Daniels a longuement écrit sur l’affirmation nécessaire des droits ancestraux des Métis et des Indiens non inscrits. Il a plaidé sa cause auprès des premiers ministres, des ministres du gouvernement fédéral et des parlementaires britanniques. De prime abord, les gouvernements n’ont pas voulu concéder de droits aux Métis; mais, début 1981, le gouvernement fédéral a décidé de rencontrer les leaders autochtones pour incorporer les droits ancestraux à la Constitution rapatriée.

Pendant son combat pour que les Métis figurent dans la Constitution, un haut fonctionnaire a demandé à M. Daniels : « Qui sont les Métis? » Sa réponse, provocante et très fréquemment citée, a été la suivante : « Nous savons qui nous sommes. Nous n’avons pas oublié la discrimination dont nous sommes victimes depuis des générations. Personne n’a à nous dire qui nous sommes : nous nous auto-identifions, comme toutes les autres personnes vivant dans ce pays. »

Le statut des Métis a été modifié en 1982, Harry Daniels ayant mené avec succès les pressions pour les faire reconnaître, dans la Loi constitutionnelle de 1982, comme un des peuples autochtones du Canada. Le paragraphe 35(2) de cette loi énumère ces peuples, à savoir les Indiens, les Inuits et les Métis, et garantit leurs droits existants, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. Harry Daniels a le mérite, comme Louis Riel avec la Loi sur le Manitoba, d’avoir fait inscrire les Métis dans la Constitution.

Après le rapatriement de la Constitution, les premiers ministres ont dû rencontrer les leaders autochtones pour élargir leurs droits garantis par la Constitution. Harry Daniels a pris part à ces rencontres, qui se sont soldées par un échec, car les premiers ministres du Canada ne souhaitaient pas cet élargissement. L’Accord relatif à la Nation métisse, qui s’inscrivait dans l’Accord de Charlottetown, aurait étendu considérablement les droits des Métis. Toutefois, le référendum national de 1992 a sonné le glas de cette proposition d’ajout à la Constitution. Les droits ancestraux des Métis ont été ensuite réaffirmés et étoffés par des décisions de la Cour suprême, comme les arrêts Powley (2003) et Daniels (2016).

Pendant de nombreuses années, les Métis ont été plongés dans une impasse juridique, personne, du fédéral ou des provinces, ne voulant que lui échoie leur responsabilité.

Man with glasses in a wheelchair with scarf over his left shoulder
Steve Powley à la Cour suprême du Canada, septembre 2003

L’arrêt Powley – 2003

Une décision historique de la Cour suprême du Canada, rendue en 2003 dans Sa Majesté la Reine c. Steve Powley, a radicalement transformé les droits de récolte ancestraux des Métis. Homme modeste, Steve Powley (1948-2004) était présent lors de la victoire de sa cause portée à la Cour suprême; cependant, il est décédé avant de voir les conséquences de l’arrêt sur la jurisprudence s’appliquant aux Métis.

Le 22 octobre 1993, deux hommes métis, Steve et Roddy Powley, ont abattu un orignal près de Sault Ste. Marie, en Ontario. Ils ont utilisé comme étiquette une carte de Métis en y précisant que « la bête fournirait de la viande pour l’hiver ». Ils ont été accusés d’avoir chassé sans permis, en contravention de la Loi sur la chasse et la pêche de l’Ontario. Lors d’un procès à la Cour provinciale de l’Ontario, les deux hommes ont soutenu pouvoir chasser en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel leur garantit ce droit à titre d’Autochtones, un droit d’ailleurs conféré par un traité. Plus précisément, ils ont affirmé qu’en tant que Métis, chasser était pour eux un moyen de faire valoir un droit ancestral antérieur au principe de souveraineté du Canada. Les Powley étaient des Autochtones qui résidaient dans la région de Sault Ste. Marie bien avant l’arrivée des colons d’ascendance européenne. La cour a tranché en faveur des deux hommes, tout comme la Cour d’appel de l’Ontario.

Dans son appel du 19 septembre 2003, la Cour suprême du Canada a déclaré que les répondants, Steve et Roddy Powley, deux Métis, avaient un droit de chasse ancestral en vertu de l’article 35 de la constitution.

La Cour suprême a aussi fourni des « critères d’admissibilité », pour les communautés et les personnes métisses, aux droits ancestraux à la chasse et à la récolte définis à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon ces critères, pour être reconnu comme Métis, un demandeur (personne ou communauté) doit : s’auto-identifier comme Métis; avoir des liens ancestraux avec une communauté métisse historique qui s’adonne à la « récolte » des ressources; prouver que cette pratique avait cours avant le contrôle des Européens, et qu’elle fait partie intégrante de sa culture distincte; prouver qu’il existe une continuité entre cette pratique et son droit actuel de l’exercer; être reconnu comme Métis par une communauté métisse existante (qui a des liens avec une communauté métisse historique).

Les arrêts Daniels – 2013 et 2016

Harry Daniels, leader métis de la Saskatchewan et ancien président du Conseil national des autochtones du Canada et de son successeur, le Congrès des Peuples Autochtones, a contribué à la cause des droits des Métis plus que quiconque dans l’histoire contemporaine du Canada. En 1982, il a été grandement responsable de la reconnaissance des Métis comme peuple autochtone du Canada dans la Constitution nouvellement rapatriée. Cependant, il croyait que ce n’était là que la première étape vers l’obtention, pour les Métis (et les Indiens non inscrits), de l’intégralité de leurs droits ancestraux. En 1999, il a intenté un recours au nom du Congrès des Peuples Autochtones pour l’ensemble des Métis et des Indiens non inscrits qui voulaient que le gouvernement fédéral assume la responsabilité de leurs communautés respectives. La pierre angulaire du dossier était la relation entre le gouvernement et les Métis et les Indiens non inscrits, vue à travers le prisme des compétences, et plus précisément du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Les demandeurs (Harry Daniels, Gabriel Daniels, Leah Gardiner, Terry Joudrey et le Congrès des Peuples Autochtones) ont sollicité auprès de la cour trois jugements déclaratoires pour définir la nature de la relation qui unit le gouvernement et les Métis et les Indiens non inscrits. Les jugements demandés étaient : 1) que les Métis et les Indiens non inscrits sont visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867; 2) que le gouvernement fédéral a une obligation de fiduciaire envers les Métis et les Indiens non inscrits; et 3) que le gouvernement fédéral doit s’assurer de consulter les Métis et les Indiens non inscrits et de négocier avec eux de bonne foi, et que les Métis et les Indiens non inscrits ont le droit de choisir leurs représentants.

La Cour fédérale du Canada a été saisie du dossier en janvier 2013. Dans Daniels c. Canada, la Cour a statué que les Métis et les Indiens non inscrits sont bien des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et que, par conséquent, ils relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Le 17 avril 2014, un jugement en appel a supprimé les Indiens non inscrits de l’arrêt Daniels de 2013. Puis, le 14 avril 2016, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision initiale de la Cour fédérale du Canada, selon laquelle les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » aux fins du paragraphe 91(24).

Selon de nombreux activistes et universitaires métis, en ne liant pas l’identité métisse à une nation autochtone précise, avec une histoire et un territoire définis, la Cour a erré.

Cette décision a mis fin au flou constitutionnel faisant en sorte que ni le fédéral ni les provinces n’acceptaient la responsabilité des Métis. Les juges ont précisé que, dans l’histoire de la confédération, différents gouvernements fédéraux ont accordé ou retiré aux Métis le statut d’« Indiens » en fonction de leurs intérêts. Ils ont aussi déclaré que les provinces qui offraient des services ou accordaient des droits particuliers aux Métis à titre d’Autochtones pouvaient continuer à le faire.

L’arrêt Daniels a immédiatement soulevé des vagues. De nombreuses personnes ont avancé, à tort, qu’il donnait aux Métis les mêmes droits et avantages qu’aux Indiens inscrits. En fait, il portait plutôt sur la reconnaissance de la compétence du gouvernement fédéral quant aux Métis et aux Indiens non inscrits en vertu du paragraphe 91(24), non sur l’affirmation que ceux-ci relèvent de la Loi sur les Indiens (1876). Ainsi, tous les droits conférés aux Métis relativement au paragraphe 91 (24) devraient faire l‘objet d’une négociation avec le gouvernement fédéral (ou la Couronne) qui, ayant une obligation de fiduciaire envers les Métis et les Indiens non inscrits, doit agir dans leurs intérêts. Cela pouvait toutefois signifier des années de procédures judiciaires supplémentaires. De plus, l’arrêt ne se cantonne pas à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel concerne les droits ancestraux des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

La Fédération Métisse du Manitoba c. Canada – 2013

Le 15 avril 1981, la Fédération Métisse du Manitoba (FMM), avec à ses côtés le Conseil national des autochtones du Canada, a déposé une poursuite d’envergure contre le gouvernement fédéral et celui du Manitoba. La FMM souhaitait obtenir un jugement déclaratoire sur l’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la Loi sur le Manitoba.

Le procès a eu lieu en janvier 1987. Selon le gouvernement fédéral, il s’agissait d’un non-lieu puisque l’affaire avait déjà été réglée en 1870. En février 1987, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a statué en faveur de la FMM, mais le gouvernement fédéral a interjeté appel. Ensuite, par une décision majoritaire, les juges de la Cour d’appel du Manitoba ont cassé le jugement. Enfin, en 1990, la Cour suprême du Canada a tranché en disant que la FMM avait le droit de solliciter un jugement déclaratoire établissant que les gouvernements fédéral et provinciaux avaient, en violation de la constitution, miné les droits des Métis conférés par les articles 31 et 32 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

En 2006 et en 2009, la FMM a fait appel de la décision auprès de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba puis de la Cour d’appel du Manitoba. Les deux instances ont alors ont pris position contre la FMM, respectivement en 2007 et en 2010. La FMM a ensuite porté la cause devant la Cour suprême du Canada, qui l’a entendue le 13 décembre 2011. Le 8 mars 2013, la Cour a conclu, dans Manitoba Métis Federation c. Canada, à six juges contre deux, que « la Couronne fédérale n’a pas mis en œuvre de façon honorable la disposition prévoyant la concession de terres énoncée à l’article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba ».

En jugeant que le gouvernement avait failli à ses obligations envers les Métis du Manitoba, la Cour suprême a confirmé le bien-fondé de la réclamation collective de la FMM pour obtenir un jugement déclaratoire à des fins de réconciliation entre les descendants des Métis de la vallée de la rivière Rouge ayant été déplacés et le Canada. Il ne s’agissait pas d’une revendication territoriale au sens traditionnel. Puisque les terres visées représentent l’actuelle région de Winnipeg et ses environs, la FMM ne cherchait pas à faire déplacer les gens y résidant, mais bien à obtenir une entente qui accommoderait les besoins des peuples tels que déterminés grâce à leur processus de consultation. La Cour suprême a laissé le soin à la FMM et au gouvernement fédéral de régler cette question.

La tâche inachevée de réconciliation des Métis avec la souveraineté du Canada est une question d’importance nationale et constitutionnelle.

Le 13 avril 2017, le Ralliement national des Métis, ses membres dirigeants et le gouvernement du Canada ont signé l’Accord Canada-Nation des Métis, cadre de la relation entre les Métis et la Couronne. On y fait par ailleurs référence à l’arrêt Manitoba Métis Federation c. Canada, en indiquant que cette décision confirme que la Couronne a une relation de nature fiduciaire avec les Métis, et que la « tâche inachevée de réconciliation des Métis avec la souveraineté du Canada est une question d’importance nationale et constitutionnelle ».

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