Les Inuits au cinéma et dans les médias
Nanook of the North est le premier long métrage documentaire au monde à avoir fait sensation. Réalisé par Robert Flaherty en 1922 – avant même l’ invention du terme « documentaire » –, le film traite du peuple inuit. Son succès retentissant a popularisé le documentaire, si bien que près d’ un siècle plus tard, la vie et la culture des Inuits continuent d’ inspirer les cinéastes du monde entier.
Pendant de longues décennies, les films sur les Inuits étaient exclusivement réalisés par des cinéastes du Sud. Que ce soit dans Nanook of the North de Robert Flaherty, Au pays des jours sans fin de Doug Wilkinson (années 1950) ou la série Netsilik Eskimo d’ Asen Balikci (années 1960), les Inuits étaient représentés comme des gens enjoués, aimables, toujours paisibles et fort ingénieux. Même Nanook of the North romance la vie des Inuits : Robert Flaherty avait voulu que les acteurs chassent avec des harpons, même si les fusils étaient en usage depuis un certain temps. Depuis les premières apparitions des Inuits au cinéma, on a braqué les projecteurs sur le passé plutôt que le présent, les gens de l’ extérieur ne s’ intéressant pas vraiment aux luttes réelles et quotidiennes des Inuits.
En 1977, le film américain Nanook Taxi est sorti sur les écrans. Le réalisateur, Edward Folger, n’ avait pas peur de présenter les dures réalités de l’ époque : il voulait montrer des Inuits des temps modernes. Son film, dépourvu de toute touche romanesque, se voulait un miroir du racisme et de la toxicomanie endémiques de ces années. Même si elle était scénarisée et mettait en vedette des personnages, cette œuvre de fiction se rapprochait bien plus de la réalité que la plupart des documentaires réalisés alors.
À l’ époque où se déroulait le travail de recherche et d’ écriture de Nanook Taxi, l’ Office national du film du Canada (ONF) a offert des ateliers en animation et en cinéma à Cape Dorset et à Iqaluit (autrefois la baie Frobisher), qui ont donné lieu à trois épisodes majeurs dans l’ histoire du film inuit. D’ abord, la naissance du projet de la Nunatsiakmiut Film Society, à l’ initiative de plusieurs habitants de la région. Ensuite, le lancement du projet Inukshuk, qui a abouti à l’ Inuit Broadcasting Corporation (IBC). Enfin, le jour où le désormais célèbre Zacharias Kunuk a acheté sa première caméra vidéo, grâce à la vente de ses sculptures en stéatite. C’ était avant même l’ arrivée des premiers programmes télévisés dans sa communauté natale, Igloolik.
Pendant de longues décennies, les films sur les Inuits étaient exclusivement réalisés par des cinéastes du Sud.
Pendant un temps, Zacharias Kunuk, la Nunatsiakmiut Film Society et l’ IBC ont exercé leurs activités séparément. La Nunatsiakmiut Film Society produisait des drames, des comédies, des émissions pour enfants, des documentaires et des films expérimentaux, tandis que l’ IBC se consacrait à la couverture de l’ actualité. En 1983, l’ IBC a ouvert un bureau à Igloolik, où sont venus travailler Zacharias Kunuk et ses collègues, Pauloosie Qulitalik et Paul Apak. Le gouvernement fédéral a fini par insister pour que fusionnent l’ IBC et la Nunatsiakmiut Film Society, afin que ses fonds soient mieux utilisés. Au fil du temps, les trois collègues ont éprouvé un mécontentement grandissant à l’ égard de la direction ottavienne de l’ IBC, jugeant que leurs collègues du Sud ne partageaient pas les mêmes priorités qu’ eux. C’ est pourquoi ils ont quitté l’ IBC et, de concert avec Norman Cohn, ont formé en 1990 Igloolik Isuma Productions, la première entreprise indépendante de production cinématographique du Nunavut. Partenaires pendant 25 ans, Norman Cohn et Zacharias Kunuk ont ensuite fondé, en 2010, l’ entreprise Kingulliit Productions Inc. L’ IBC et Igloolik Isuma Productions ont été, pendant près de 20 ans, les seules sociétés de production cinématographique au Nunavut.
En 2001, Atanarjuat, la légende de l’ homme rapide est devenu le premier long métrage en inuktitut. L’ histoire est inspirée de la tradition orale inuite qui se transmet partout en Arctique depuis des temps immémoriaux. Réalisé par Zacharias Kunuk et produit par Igloolik Isuma Productions, le film a remporté un beau succès partout dans le monde, ce qui lui a valu de prestigieuses distinctions comme la Caméra d’ or du Festival de Cannes, prix décerné au meilleur film. En 2015, le Festival international du film de Toronto a élu Atanarjuat, la légende de l’ homme rapide meilleur film canadien de tous les temps.
En 2002, des cinéastes du Nunavut et d’ autres du Sud, qui avaient des liens avec le Nord, ont fait front commun pour créer l’ Ajjiit Nunavut Media Association dans le but de faire pression sur les gouvernements pour qu’ ils soutiennent le développement de l’ industrie cinématographique du Nunavut. L’ association a aidé le gouvernement du territoire à élaborer une politique régissant cette industrie et à créer Nunavut Film, une entreprise de développement qui finance des films au nom du gouvernement du Nunavut.
Pendant des décennies, les rôles étaient ainsi répartis dans l’ industrie du cinéma : les Inuits s’ occupaient de la création, de la narration et de la réalisation, alors que les partenaires et producteurs non inuits se consacraient aux budgets, à la rédaction de propositions, à la collecte de fonds et aux rapports de coûts. L’ une des principales contributions de l’ Ajjiit Nunavut Media Association fut d’ aider les Inuits à endosser le rôle de producteurs. Pour ce faire, l’ association a mis sur pied chaque année des instituts cinématographiques qui ont donné naissance à des sociétés de production indépendantes, ce qui a agrandi l’ univers du cinéma indépendant au Nunavut. De même, l’ organisme Embrace Life Council a démarré – en partenariat avec le National Inuit Youth Council – le projet Inuusivut, qui a aidé plus d’ une centaine de jeunes nunavois à mieux exprimer leurs émotions en leur enseignant l’ abc de la photographie et de la vidéographie.
La réalisation et la diffusion de films inuits ont eu un effet des plus bénéfiques pour les Inuits. Selon une étude d’ impact économique de 2009, pour chaque dollar que le gouvernement du Nunavut investit dans les productions cinématographiques du territoire, il en retire six en moyenne. Gagnant du terrain, ce mouvement cinématographique a également servi de vecteur de la langue et de la culture inuites. IsumaTV, un projet de Norman Cohn et de Zacharias Kunuk, offre une plateforme en ligne où médias et cinéastes autochtones peuvent créer leurs propres canaux de téléchargement de vidéos, d’ images et de fichiers audio. Les cultures et les médias des quatre coins de la planète y trouvent leur place.
En 2009, l’ Ajjiit Nunavut Media Association a fait équipe avec l’ IBC dans une étude de faisabilité sur la création d’ un réseau de télévision régional en langue inuite. Le bilan : il ne faisait pas de doute que le projet était digne d’ intérêt et viable financièrement. C’ est ainsi qu’ en mars 2012, tous les intervenants du Nunavut ont été conviés à un congrès qui s’ est soldé par un franc succès. On y trouvait des organisations inuites, des représentants du gouvernement, des professionnels de l’ industrie, des enseignants, des langagiers et d’ autres Nunavummiuts – autant des jeunes que des aînés. On pouvait y entendre des échanges et des débats animés en inuktitut comme en anglais. À la fin du congrès, les intervenants avaient établi un consensus sur le mandat global du futur réseau de télévision régional, fondé un comité directeur et défini les grands objectifs et les prochaines étapes. Le mandat de TV Nunavut est d’ informer, d’ éduquer, de divertir et de pousser à l’ action les Nunavummiuts, de promouvoir et de préserver les langues inuites et, enfin, de représenter l’ identité et la culture inuites.
Sorti en 2016, le documentaire Inuk en colère met en lumière la réalité de la chasse au phoque et les répercussions des sanctions du Sud sur le mode de vie inuit. Réalisé par l’ inuite Alethea Arnaquq Baril, le film a fait le tour du monde, raflant des prix au pays comme à l’ étranger et ébranlant les perceptions des gens sur l’ industrie de la chasse au phoque.
Inspirées par des gens comme Zacharias Kunuk, Pauloosie Qulitalik et Alethea Arnaquq Baril, de nouvelles générations de cinéastes et de conteurs inuits veulent reconquérir leur image et raconter leurs histoires au monde. Des histoires qui taillent une place aux Inuits dans les médias nationaux et internationaux et qui éclairent les masses sur la perspective inuite – dans toutes ses subtilités.
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