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atlas des peuples autochtones du Canada

Les débuts du nationalisme métis

Les Métis se sont toujours vus comme un peuple distinct, doté de sa volonté propre et de droits inhérents en tant que colons et autochtones. Les Métis de la Terre de Rupert, dont l’identité communautaire s’est cristallisée au sein de la colonie de la rivière Rouge à la fin de la décennie 1790, sont la seule population de descendance mixte dans ce qui est maintenant le Canada à avoir développé une forme de nationalisme. Un principe central du nationalisme métis à l’origine est l’idée que les Métis constituaient « la nouvelle nation », soit une nation liée à ses deux racines ancestrales, les Premières Nations et les colons d’origine européenne, mais aussi distincte d’elles. L’identité communautaire des Métis a eu une incidence sur leurs relations avec d’autres groupes, particulièrement dans les situations où ils ont dû résister aux tentatives de restriction de leurs droits ou de leur mode de vie. Les premiers nationalistes métis ont tenté de préserver leur mode de vie autochtone en l’adaptant au contexte local, tout en s’opposant à l’influence forcée de la culture européenne et eurocanadienne.

Les premiers nationalistes métis ont tenté de préserver leur mode de vie autochtone.

Les premiers bouillonnements du nationalisme métis ont eu lieu de 1811 à 1816 au croisement des rivières Rouge et Assiniboine, dans l’actuel Manitoba. Les Métis ont senti leurs droits ancestraux bafoués lorsque le chef des Saulteaux, Peguis, a signé en 1811 une entente avec la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) pour créer la colonie de Selkirk, et ce, sans consulter les autres nations autochtones. Les Métis revendiquaient une occupation antérieure par leurs aïeules cries. Selon eux, le chef Peguis, arrivé dans la région de la rivière Rouge dans les années 1790, n’avait pas le droit de céder des terres dont la propriété revenait à plus juste titre à la Nation crie et à ses descendants, dont faisaient partie les Métis. En 1812, des colons commencèrent à arriver sur la Terre de Rupert dans le cadre du projet de colonisation du cinquième comte de Selkirk, Thomas Douglas. Cette arrivée déplaisait aux Métis, puisque des installations agricoles nuiraient au commerce de la fourrure et du bison. Les récoltes furent malheureusement un échec les deux premières années de la colonie, et afin d’éviter la famine pour les habitants, Miles Macdonell, gouverneur du district d’Assiniboine nommé par la CBH, émit en 1814 une série de décrets connue sous le nom de Proclamation sur le pemmican. Le premier décret interdisait l’exportation du pemmican et le deuxième avait pour objectif de restreindre la technique de chasse aux bisons pratiquée par les Métis (chasser à dos de cheval), qui consistait typiquement à repousser l’animal hors du territoire vers de meilleures terres de chasse au sud.

Ces décrets ont alimenté le premier élan du nationalisme métis naissant. En réponse à ces contraintes compromettant leur mode de vie, les Métis ont chassé le bison, exporté du pemmican, arrêté Macdonell pour atteinte à la souveraineté métisse et ordonné la déportation des colons. En 1815, la CBH a signé un traité garantissant le départ des colons et la fin des hostilités. Cependant, la tranquillité ne dura pas longtemps : le nouveau gouverneur de la CBH, Robert Semple, désirait contrôler les commerces du bison et du pemmican et a tenté d’envoyer plus de colons dans la région.

Plus tard, lors de la bataille de Seven Oaks (19 juin 1816), les Métis, menés par Cuthbert Grant, ont résisté aux tentatives de la CBH de restreindre leur gagne-pain en tant que fournisseurs de fourrure pour sa rivale, la Compagnie du Nord-Ouest. Dans sa célèbre chanson La Bataille des Sept Chênes, le poète et conteur métis Pierre Falcon décrit la CBH comme des « étrangers » et des « Anglais » voulant « piller » le pays, alors que les Bois-Brûlés, les Métis, les « chassent » du champ de bataille.

Dans la tradition orale, on se souvient de la bataille de Seven Oaks comme d’une grande victoire métisse. Les Métis y ont affirmé leur souveraineté et maintenu leur droit de jouir des ressources du territoire. La Compagnie de la Baie d’Hudson a capitulé et, pendant une certaine période, aucun colon n’est plus venu dans la région. En 1815, soit avant la bataille de Seven Oaks, les Métis avaient créé le premier drapeau patriotique de l’histoire canadienne, le drapeau métis orné du symbole de l’infinité, qui représente la fusion des cultures autochtones et européennes, dont le résultat est un nouveau peuple distinct.

Animés par l’idée qu’ils formaient « la nouvelle nation », les Métis sont devenus une force dominante dans les plaines du nord. Des années 1820 à 1850, ils ont continué de raffermir leur souveraineté et leur identité communautaire. Les autres nations autochtones avaient, à ce moment, reconnu la place des Métis dans la société des Plaines et s’étaient adaptées à leur présence. On les appelait
« Otipemisiwak », « gens du libre » ou « freeman » en raison de leur soif de liberté et leur insoumission. On les nommait aussi « Apeetogosan », « Wissakodewinimi », « Chicots » et « Bois-Brûlés », vu leur ascendance mixte, ainsi que « gens du perlage floral », en raison de leurs vêtements dont les perles étaient agencées en motifs floraux très riches. Ces noms, toutes des variations sur un même thème, démontrent que les Métis formaient une nation reconnue par les autres peuples autochtones.

coloured drawing of people on running horses with a man holding a Metis flag
Scène de la bataille de Seven Oaks par l’artiste métisse Sherry Farrel Racette

La souveraineté populaire métisse (1810-1869)

Pendant le XIXe siècle, et jusqu’à la Loi sur le Manitoba, les Métis ont pratiqué une forme de souveraineté populaire et ont défendu avec soin leurs droits ancestraux, particulièrement ceux concernant le territoire et ses ressources. Cela a entraîné des conflits avec ceux qui voulaient restreindre leurs droits, comme la CBH, les Dakotas et le Dominion du Canada.

Les Métis n’ont peut-être jamais autant affirmé leur identité que lors des grandes chasses aux bisons des décennies 1840 à 1870, ce qui a d’ailleurs entraîné un conflit avec les Dakotas (les Sioux Yanktonai) dans les années 1840 et 1850. Les deux nations se sont affrontées au sujet des riches terres de chasse de l’actuel Dakota du Nord, affrontement qui a culminé avec la bataille du Grand Coteau des 13 et 14 juillet 1851. Lors de cet événement, le dernier d’une série de plusieurs combats entre ces deux nations, un petit groupe de Métis a défait des troupes dakotas largement supérieures en nombre. Les Dakotas étaient si impressionnés par les prouesses martiales des Métis et par la supériorité de leurs tireurs qu’ils ont signé un traité de paix avec eux.

Même avant la diminution des populations de bisons durant la décennie 1870, les Métis étaient conscients qu’il s’agissait d’une ressource limitée qui devait être protégée. En 1840, les Métis ont codifié la protection de cette ressource inestimable grâce aux « lois de la chasse » ou la « Loi des Prairies ».

Les Métis pratiquaient, à l’image de leur organisation de la chasse, une forme de démocratie reposant sur le consensus. Chaque année, avant le départ vers les deux camps de chasse au bison (l’un aux embranchements de la rivière Saskatchewan et l’autre sur le territoire de l’actuel Dakota du Nord), ils tenaient des assemblées informelles présidées par des aînées et mettaient en place des lois. Ceux qui enfreignaient ces règles sociales étaient punis. Lors de ces assemblées, les Métis élisaient un « chef de chasse ». Ensuite, des groupes, qu’on appelait « dizaines » en raison du nombre d’hommes qui les formaient, élisaient un capitaine. Tous les capitaines relevaient du chef et coordonnaient, chacun leur tour, la stratégie de chasse et de préservation des ressources.

L’organisation démocratique des Métis, informelle et directe, se prêtait bien à une structure militaire et à l’exercice d’une autonomie gouvernementale. Par exemple, lors de la rébellion du Nord-Ouest de 1885, les Métis, sous la direction du chef de guerre Gabriel Dumont, ont utilisé la formation paramilitaire de la chasse aux bisons lors de leurs affrontements avec l’Armée canadienne. De plus, durant la décennie 1870, les Métis ont aussi exercé leur autonomie gouvernementale dans le cadre du Conseil de St-Laurent, près de l’actuel village de Batoche, en Saskatchewan. En fait, c’est lorsque le président du Conseil, Gabriel Dumont, a tenté de faire respecter une mesure des lois de la chasse du bison en 1875 que la Police à cheval du Nord-Ouest a mis fin au Conseil par la force.

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