Le peuple des réserves routières
La période des réserves routières (approximativement de 1900 à 1960) est un élément important, mais méconnu, de l’histoire et de l’identité des Métis. Au fur et à mesure que les immigrants agriculteurs s’installaient dans les provinces des Prairies, après la rébellion du Nord-Ouest de 1885, de nombreux Métis se sont dispersés dans les prairies-parcs et les régions forestières, tandis que d’autres ont investi les terres publiques destinées à la construction de routes dans les régions rurales et certaines zones peu fertiles. C’est ainsi que les Métis ont peu à peu pris le nom de « peuple des réserves routières », s’établissant un peu partout dans les Prairies et formant des dizaines de communautés improvisées, comme celles de Spring Valley aux abords du parc national de Prince Albert et du « petit Chicago » dans la vallée de la Qu’Appelle – toutes deux en Saskatchewan – et celles de Sainte-Madeleine et de Rooster Town (Winnipeg), au Manitoba. Les habitations des Métis reflétaient leur extrême pauvreté : généralement sans isolation, avec un toit en papier goudronné et construites à partir de rejets de bois ou de bûches et d’autres matériaux « recyclés ». Comportant une ou deux chambres, ces petites maisons abritaient des familles entières.
Au fur et à mesure que les immigrants agriculteurs s’installaient dans les provinces des Prairies, après la rébellion de la Saskatchewan de 1885, de nombreux Métis se sont dispersés dans les prairies-parcs et les régions forestières, tandis que d’autres ont investi les terres publiques…
Les communautés des réserves routières sont apparues là où il y avait des emplois temporaires. Les Métis travaillaient pour les agriculteurs, à enlever pierres et racines de leurs champs, à faire du déboisement ou à accomplir d’autres tâches. Cela leur rapportait le salaire minimum ou un peu de nourriture, comme du poulet, du porc ou du bœuf. Dans ces circonstances, ils ne pouvaient pas acheter une maison ou payer un loyer. « Occuper » les terres publiques était donc pour eux un moyen d’offrir un toit à leur famille. Pour grossir leurs maigres revenus, de nombreuses familles des réserves routières ramassaient la racine de Sénéca pour la revendre au poids. De plus, les gens cueillaient des baies, cultivaient un potager, trappaient ou chassaient le gibier. Malheureusement, en 1939, des lois ont rendu illégaux le trappage et la chasse sans permis ou hors saison, ce qui a valu à de nombreux Métis un séjour en prison ou une amende salée. Pourtant, c’était souvent leur seule source de nourriture.
Les Métis des réserves routières avaient un niveau de vie bien moindre que celui des colons d’ascendance européenne des environs, et cette pauvreté s’est maintenue jusqu’au milieu du XXe siècle. En raison du durcissement de la réglementation entourant la chasse et la pêche, et de la faillite des programmes d’emploi, les Métis se sont tournés vers l’aide gouvernementale pour subsister. Qui plus est, ils vivaient dans une société raciste où les colons les marginalisaient, ce qui a engendré une myriade de problèmes sociaux, comme la mauvaise santé, la faible estime de soi et l’accès limité à des emplois viables. Sur le plan de l’éducation, ces Métis avaient un horizon plutôt fermé, puisque seuls les enfants dont les parents payaient un impôt foncier pouvaient aller à l’école. Ainsi, trois générations de Métis n’ont pu recevoir une éducation de base. Privés d’un accès à l’école, les enfants des réserves routières subissaient souvent des moqueries et de l’intimidation relativement à leurs coutumes, leur façon de se vêtir, leur langue et leur nourriture.
Pendant la grande dépression, les gouvernements des Prairies, cédant à la pression grandissante de la population, ont pris des mesures pour régler le « problème des Métis ». Dans les années 1930 et 1940, l’Alberta et la Saskatchewan se sont donc attaquées à la marginalisation économique, sociale et politique des communautés vivant dans les réserves routières. Les leaders des Métis en Alberta, tels que Malcolm Norris, James Brady (mieux connu sous le nom de Jim Brady) et Peter Tomkins, ont alors convaincu le gouvernement provincial de passer, en 1938, le Métis Population Betterment Act, qui visait à créer 12 colonies métisses – aujourd’hui appelés « établissement métis de l’Alberta » –, la seule assise territoriale octroyée par la loi aux Métis au pays. La Saskatchewan a, quant à elle, mis sur pied divers programmes de réhabilitation des Métis, comme des fermes ou des colonies métisses, ainsi que des écoles spéciales pour eux, qui ont cependant toutes été fermées dans les années 1950.
La dissolution des communautés des réserves routières a commencé durant la grande dépression. L’Administration du rétablissement agricole des Prairies, mise en place en 1935, prévoyait la création de pâturages communautaires en région rurale, forçant les Métis à quitter leurs camps. Dans le « petit Chicago », près de Lestock en Saskatchewan, ou à Sainte-Madeleine au Manitoba, les familles métisses ont été expulsées manu militari de leurs réserves routières. À Sainte-Madeleine, toutes les familles ont été évincées et les maisons ont été brûlées pour faire place à ces pâturages.
Malgré la pauvreté et le racisme dont ils ont été victimes au quotidien, beaucoup d’aînés métis gardent un bon souvenir des aspects positifs de leur vie dans une réserve routière. On dansait sur la musique enfiévrée d’un violon lors de fêtes dans les maisons. On voyageait en allant cueillir des baies et chercher la racine de Sénéca. On racontait des histoires fabuleuses, et célébrait avec enthousiasme li Zhoor di Laan (le jour de l’An). On parlait le michif, et les aînés donnaient une éducation traditionnelle aux enfants. Indépendants, les Métis subvenaient alors aux besoins de leurs familles du mieux qu’ils le pouvaient. Les membres de ces communautés s’entraidaient, et les familles étaient tissées serrées. Leur vie était peut-être difficile, mais ces aînés restent nostalgiques d’un temps où elle était plus simple, et où on pouvait compter les uns sur les autres. Bien qu’ils fussent pauvres, ils étaient, à cette époque, riches en bien d’autres façons.
Commandez maintenant
sur Amazon.ca ou Chapters.Indigo.ca, ou communiquer avec votre libraire ou marchand éducatif préféré