La rébellion du Nord-Ouest de 1885
Les racines de la rébellion du Nord-Ouest de 1885 remontent jusqu’à la décennie 1870, pendant laquelle est décriée l’absence de représentation métisse au sein du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (qui comprennent alors les actuelles Alberta et Saskatchewan). Même après que cette représentation a été accordée dans les années 1880, les Métis demeurent frustrés que le gouvernement fédéral ne réponde pas à leurs nombreuses requêtes pour obtenir des titres officiels de propriété sur leurs terres et un poids politique adéquat. Les Métis tiennent à ces titres parce qu’ils ne veulent pas être dépossédés de leurs terres comme l’ont été les Métis du Manitoba après la rébellion de la rivière Rouge (1869-1870).
L’absence de réponse claire à leurs nombreuses demandes raffermit la détermination des Métis d’exercer des pressions sur le gouvernement. À l’hiver 1883-84, Charles Nolin et Maxime Lépine créent un comité formé des Métis influents du district de Lorne, dans les Territoires du Nord-Ouest. Ces leaders se rencontrent à plusieurs reprises afin de rédiger une liste de réclamations et d’établir un plan pour que leurs droits comme peuple soient reconnus. Ils votent également pour l’envoi d’une délégation à Ottawa et décident de rapatrier Louis Riel du territoire du Montana.
À l’été 1884, l’évêque Grandin présente au premier ministre Macdonald les revendications des Métis : que les Territoires du Nord-Ouest, qui sont gouvernés par un conseil nommé par le gouvernement fédéral, deviennent une province avec un gouvernement doté de responsabilités complètes; que les Métis reçoivent les titres de propriété intégrale de leurs terres; qu’on fasse le levé de ces terres afin de reconnaître le système de partage des terres des Métis, qui divise le territoire en lots avec un accès à la rivière; et que Louis Riel soit reconnu comme dirigeant en étant nommé au conseil territorial ou au Sénat canadien.
En décembre 1884, Louis Riel rédige une nouvelle liste de réclamations, qui suit les mêmes principes, mais sur un ton plus urgent. La réponse du gouvernement arrive en janvier 1885 : on ne négociera pas avec Riel et ne considérera les demandes des Métis que si elles sont présentées au bon moment et de la bonne manière. Selon Louis Schmidt et d’autres Métis, cette réponse du gouvernement fédéral a précipité le début de la rébellion du Nord-Ouest de 1885.
Le 18 mars 1885, les Métis de la région de Batoche établissent un gouvernement provisoire. Pierre Parenteau père y tient le rôle de président, Philippe Garnot (un Canadien français) celui de secrétaire et Gabriel Dumont celui d’adjudant général (commandant militaire). Louis Riel établit également un conseil populaire de 20 membres qu’il appelle « Exovedat » (ce qui, en latin, veut dire « issus du troupeau »).
La bataille de Duck Lake (25 et 26 mars 1885)
Le 25 mars 1885, Gabriel Dumont demande à Louis Riel la permission de prendre 30 hommes pour aller chercher des provisions dans les magasins des marchands qui s’opposent aux revendications des Métis auprès du gouvernement fédéral. Ils se rendent au magasin de Hillyard Mitchell et se saisissent de son contenu. Riel dit ensuite à Mitchell de consigner tout ce que les Métis ont pris.
Le surintendant de la Police à cheval du Nord-Ouest, Leif Crozier, est averti que les Métis vont probablement occuper Duck Lake, sans savoir que l’opération est déjà en cours. Il envoie 15 policiers à cheval et sept membres des Prince Albert Volunteers sous la supervision du sergent Stewart et de Thomas McKay, avec quelques traîneaux pour transporter des provisions du magasin de Mitchell.
Gabriel Dumont, accompagné de 30 Métis et de quelques guerriers des Premières Nations, intercepte le convoi. Dumont renverse un policier avec le canon de son fusil et se querelle de vive voix avec Thomas McKay. Le sergent Stewart décide de battre en retraite à Fort Carlton en raison du désavantage numérique.
Les Métis retournent à Duck Lake, mais ont à peine le temps de nourrir leurs chevaux avant que la police ne soit de retour. Crozier passe à l’attaque avec 56 policiers à cheval et 43 membres des Prince Albert Volunteers. Il a également à sa disposition un canon de sept livres (3,18 kg).
On apprend à Batoche et à Saint-Laurent que les Métis affrontent la police et des Prince Albert Volunteers, et des renforts sont envoyés. Le contingent métis compte désormais de 250 à 300 hommes, dont des Cris provenant de deux réserves avoisinantes.
Tôt le matin du 26 mars, Gabriel Dumont rassemble 25 hommes pour tendre une embuscade. Il choisit un endroit à 3,5 km de Duck Lake où le terrain surplombant la route est bas, avec une abondance de petits buissons, une ravine et une maison en bois rond, qui est immédiatement occupée par quelques hommes. Certains des éclaireurs de Crozier sont des Métis anglophones qui sont familiers avec les techniques de guerre des prairies : ils découvrent le plan de Dumont. Crozier ordonne à ses hommes de s’arrêter, de monter une barricade et d’armer le canon. Les Métis forment un demi-cercle pour attaquer leurs ennemis sur leurs flancs. Au même moment, Louis Riel est en route avec des renforts.
Isidore Dumont et Assiyiwin, un chef âgé et à moitié aveugle de la Nation crie, avancent vers les hommes de Crozier en agitant une couverture blanche. Joseph McKay, un interprète métis anglophone, s’approche d’eux; Crozier est juste derrière lui. Assiyiwin, qui n’est pas armé, s’adresse en cri à McKay, puis essaie de lui prendre un de ses fusils. Mckay fait feu et tue le vieillard. Crozier donne à ses hommes l’ordre de tirer, et Isidore Dumont tombe aussi sous les balles.
McKay et Crozier peinent à rejoindre les leurs avant que les Métis ne commencent à tirer de tous les côtés. Le canon est rapidement mis hors de combat, l’artilleur ayant mis la charge avant la poudre. Cet épisode de la bataille ne dure qu’une demi-heure.
La police retraite dans une clairière où les Métis leur tendent une embuscade. À ce moment, Gabriel Dumont est effleuré à la tête par une balle, tombe de son cheval et est incapable de se relever. Il continue cependant d’encourager ces hommes. Il donne son arme et ses munitions à Baptiste Vandal, tandis que Joseph Delorme reste à ses côtés. À l’apogée de l’affrontement, Louis Riel chevauche en brandissant un crucifix. Auguste Laframboise meurt à ses côtés. La police commence à fuir. Édouard Dumont, le frère de Gabriel, veut les poursuivre, mais Louis Riel ordonne la fin du massacre.
Les Métis perdent cinq des leurs : Isidore Dumont, Assiyiwin, Jean-Baptiste Montour, Joseph Montour et Auguste Laframboise. Ils comptent également trois blessés, dont Gabriel Dumont. Crozier perd dix hommes; treize sont blessés, dont deux qui ne survivront pas.
La bataille de la Coulée des Tourond/Fish Creek (24 avril 1885)
Après la bataille de Duck Lake, le gouvernement fédéral, craignant une révolte généralisée des Autochtones, envoie dans l’Ouest une Armée canadienne, sous les ordres du général Frederick Middleton. Les troupes stationnent à Qu’Appelle, en Saskatchewan. Middleton et ses 800 hommes entament leur marche vers la région de Batoche au début d’avril 1885; le 23, ils quittent Clarke’s Crossing, qui n’est qu’à quelques jours de marche de leur destination. Cette nuit-là, les éclaireurs de Gabriel Dumont l’avertissent que les troupes canadiennes campent à la ferme McIntosh, à environ 10 km au sud de Fish Creek.
Les Métis décident de tendre une embuscade aux troupes en marche à la Coulée des Tourond, un ravin qui serpente de la ferme des Tourond jusqu’à la rivière Saskatchewan Sud, à l’endroit où elle croise le ruisseau Fish Creek. C’est l’endroit parfait pour une embuscade, des tireurs pouvant être postés au fond du ruisseau et sur les berges. Les Métis peuvent également surveiller la route qui descend vers le ravin. De plus, ils sont bien camouflés : les boisés bas et denses à l’entrée du pont empêchent les soldats de les voir.
Tard dans la soirée du 23 avril, Louis Riel et Gabriel Dumont se rendent à la Coulée des Tourond, laissant la responsabilité de défendre Batoche à Édouard Dumont, le frère de Gabriel. Noël Champagne et Moïse Carrière avertissent Riel et Dumont que la Police à cheval du Nord-Ouest s’apprête à attaquer Batoche par surprise en passant par la route de Qu’Appelle. En apprenant cette nouvelle, Louis Riel décide de partir avec 50 hommes pour Batoche. Les Métis restant à la Coulée des Tourond représentent alors moins du cinquième des troupes de l’Armée canadienne auxquelles ils feront face.
Le lendemain à 7 heures du matin, Gilbert Bréland signale que 800 soldats s’approchent. Gabriel Dumont place donc 130 hommes dans un creux sur la rive gauche du ruisseau Fish Creek, dissimule des chevaux dans les bois, et s’avance plus bas avec 20 hommes en suivant le cours d’eau. Il ordonne à ses hommes de ne pas attaquer avant que toutes les troupes de Middleton ne soient dans la coulée : les soldats pris au piège pourront alors être abattus comme des bisons.
À la Coulée des Tourond, les Métis peuvent s’appuyer sur de nombreux tireurs de grande qualité, comme Philippe Gariépy, James Short et Gilbert Bréland, mais comptent également dans leurs rangs plusieurs jeunes sans expérience. Certains Dakotas se battent aux côtés des Métis. Les éclaireurs métis anglophones de Middleton l’avaient prévenu que leurs adversaires étaient bien armés et disposaient de carabines à répétition, mais beaucoup d’entre eux n’ont que des fusils de chasse ou des mousquets. Les Métis ne disposent en fait que de trois ou quatre carabines Winchester (à chargement par la culasse).
L’affrontement commence à 9 heures du matin. Certains des hommes de Gabriel Dumont se sauvent devant le danger, mais Dumont montre l’exemple en tirant sur toutes les cibles qu’il aperçoit. Quand les soldats commencent à lui tirer dessus, il chevauche, accompagné de Napoléon Nault, vers un poste plus haut sur le ravin, là où se trouve le reste des troupes métisses. À ce moment, Dumont empêche quinze de ses hommes de déserter, mais il ne reste seulement que 47 des 130 combattants à sa disposition au début. En ajoutant ses 15 cavaliers, il ne peut donc compter que sur environ 60 hommes pour affronter 400 soldats. Dumont, qui souffre toujours de sa blessure de Duck Lake, use de toute sa fougue pour convaincre les combattants restants de continuer le combat.
Toute la journée, les Métis empêchent l’Armée canadienne d’avancer. En pleine bataille, ils chantent les chansons de Pierre Falcon pour garder leur courage. Lorsqu’il ne reste plus aux Métis que sept cartouches, Dumont met le feu à l’herbe de la prairie, envoyant d’épais nuages de fumée vers les troupes de Middleton. Lorsque le vent tourne, Dumont retourne vers ses quinze cavaliers après avoir échoué à rejoindre ses troupes principales dans les abris des tireurs. À son retour, il constate que les Dakotas se sont retirés du combat.
À ce moment, il ne reste que sept hommes avec Gabriel Dumont. C’est alors qu’arrivent les renforts. Édouard Dumont, accompagné de Yellow Blanket, d’Ambroise Champagne et de 80 cavaliers, vient prêter main-forte aux Métis assiégés. C’est Marguerite Caron, dont le mari et deux fils sont au combat, qui a convaincu Louis Riel d’envoyer les renforts. Avec cette nouvelle cavalerie, Édouard Dumont mène une charge qui repousse les Canadiens, forçant ainsi le général Middleton à rappeler ses troupes. La bataille est finie.
Du côté canadien, on dénombre 10 morts et 45 blessés. Quant à eux, les Métis ont perdu quatre des leurs, dont le neveu de Gabriel Dumont, Pierre Parenteau. Trois Métis ont été blessés; dont l’un d’eux mortellement. Ils ont également perdu 55 chevaux pendant la bataille, mais ont pu prendre possession de 32 carabines. À l’aurore, ils retournent à Batoche pour se préparer pour un nouvel affrontement.
La bataille de Batoche (du 9 au 12 mai 1885)
Après les batailles de Duck Lake et de Fish Creek, les Métis se préparent à faire face aux forces du général Middleton au village de Batoche. Ils creusent des abris de tireurs défensifs, semblables à des tranchées, autour du village. Il s’agira d’un combat d’attrition, qui ne prendra fin que lorsque les Métis seront épuisés par les affrontements, à bout de munitions.
Les troupes du général Middleton arrivent à Batoche vers 9 heures du matin. Les Métis commencent à tirer des deux premières maisons du sentier Humboldt, qui se trouvent à peu près à 400 verges (357 mètres) de l’église et du presbytère. La mitrailleuse Gatling de Middleton, prêtée par l’armée américaine, fait feu sur la première maison, et un canon de la batterie a bombardé la seconde, provoquant la dispersion des Métis. Les deux maisons sont anéanties par le feu. La mitrailleuse Gatling vise également le presbytère; une des balles traverse le mur et atteint la jambe du père Moulin.
Après 9 h 45, l’échange de tirs se poursuit entre les Métis et les hommes de Middleton. La Force de campagne du Nord-Ouest atteint Mission Ridge lors du premier jour d’affrontement, mais elle ne reprendra pas ce terrain avant le 12 mai. Middleton décide de retirer de l’affrontement ses meilleurs soldats, les grenadiers, et utilise la mitrailleuse Gatling pour empêcher les tirs ennemis. Personne n’est tué durant la première attaque.
Du côté des Métis, Élie Dumont et d’autres tentent d’encercler la force ennemie du nord-ouest pour s’emparer de la mitrailleuse Gatling, mais sans succès. Ils essaient une deuxième fois, mais ne réussissent qu’à allumer un incendie dans la prairie, qui passe près de briser la ligne d’approvisionnement de Middleton avant de s’éteindre.
Le 9 mai, les affrontements prennent fin vers
15 h. Middleton fait construire pendant l’après-midi une palanque, une clôture défensive qui doit protéger les provisions et les combattants du feu ennemi. Construite en hauteur, la palanque permet aux hommes de Middleton de passer la nuit en sécurité et sert de camp de base pendant le jour. Elle empêche toute attaque-surprise des Métis. Vers 18 h 30, les Métis avancent à nouveau et la Force de campagne du nord-ouest se retire vers la palanque. Les Métis et leurs alliés des Premières Nations tirent sur celle-ci, à dix minutes d’intervalle, pendant toute la nuit.
Au matin du 10 mai, on ordonne aux soldats canadiens de creuser des abris de tireurs entre la palanque et le cimetière. À 5 h, les troupes de Middleton essaient de démoraliser les Métis en leur tirant dessus de toutes les directions. En après-midi, le général ordonne à ses hommes de creuser leurs abris encore plus profondément. Son objectif est d’empêcher les Métis d’utiliser la même stratégie à l’endroit de la palanque que lors de la nuit précédente. Les troupes se retirent vers 18 h sous un feu nourri, sans avoir pu conserver le terrain qu’elles avaient gagné la veille contre les Métis.
Le 11 mai, Middleton quitte la palanque à
10 h et chevauche au nord vers la « Jolie Prairie ». Les Métis, dans leurs abris de tireurs, le prennent comme cible. Le général ordonne d’utiliser la mitrailleuse Gatling pour contrecarrer le feu métis. Avant de retourner à la palanque, Middleton et ses soldats brûlent des maisons de bois rond qui auraient pu servir d’abris pour l’adversaire.
Les Métis qui se trouvaient près du cimetière se déplacent alors vers le nord pour croiser Middleton, ce qui permet à la Force de campagne du nord-ouest d’avancer. La palanque n’a subi aucun tir cette nuit-là, et Middleton est informé que les Métis commencent à manquer de munitions. Il décide donc de jouer ses cartes pour remporter la bataille le lendemain.
Le lendemain matin, des 250 ou 300 combattants du début, il ne reste que 50 ou 60 Métis pour se battre. Ils n’ont que 40 carabines, le reste de leurs armes étant des fusils de chasse à deux coups. Certains Métis utilisent des clous ou des balles perdues comme munitions. Tôt cet après-midi-là, la Force de campagne du nord-ouest perce la première ligne de défense constituée d’abris de tireurs. Les Métis se défendent vaillamment contre cette offensive, mais finissent par succomber à l’attaque. Certains sont tués à la baïonnette, incluant certains hommes âgés, notamment Joseph Ouellette, alors 93 ans. Les quelque 25 soldats qui étaient détenus par les Métis sont alors libérés. À ce moment, à la fin de l’affrontement, les femmes, les enfants et les aînés métis sortent des grottes le long des berges qui leur servaient de cachettes.
C’est la fin de la rébellion armée des Métis. Ils poursuivront leur résistance autrement à l’avenir.
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