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atlas des peuples autochtones du Canada

Utilisation des terres traditionnelles

Dan David, Kanien’ kehá:ka, auteur et journaliste récompensé, réside à Kanehsatà:ke, un territoire mohawk situé près d’ Oka, dans le sud du Québec.

Une personne qui m’ est chère m’ a déjà remis une feuille de papier en me disant que l’ histoire qu’ on pouvait y lire était véridique : un groupe de guerriers iroquois (haudenosaunees) attaquèrent un jour un village anishinaabe. Ils y trouvèrent une magnifique jeune fille, qui les convainquit d’ épargner le village et de la prendre plutôt en otage. Fascinés par sa beauté, les assaillants acceptèrent et s’ enfuirent en canot sur la rivière. Hélas, tout hypnotisés qu’ ils étaient par leur prisonnière assise dans le canot de tête, ils ne virent pas les rapides et les chutes mortelles qui les guettaient, et ils basculèrent vers leur perte. On dit que l’ endroit fut rebaptisé Iroquois Falls en l’ honneur du sacrifice de la jeune femme. Bien entendu, cette histoire est absurde. Les noms de lieux, ou « toponymes », sont choisis pour toutes sortes de raisons : se rappeler d’ où l’ on vient, tisser un lien avec sa patrie, effacer ce qui se trouvait là avant… Mais ce sont les histoires comme celle-là qui m’ y font réfléchir.

Inscrire un nom sur une carte ou changer le nom d’ un endroit, c’ est une forme d’ imposition.

À l’ été 2017, Denis Coderre, alors maire de Montréal, a ravivé mon intérêt pour les noms de lieux en organisant une cérémonie pour renommer le sommet d’ Outremont du mont Royal, l’ un des emblèmes du paysage montréalais, de son nom mohawk, Otsira’ kéhne, qui signifie « autour du feu ». Quelques mois plus tard, il a fait ajouter un pin blanc au centre des armoiries et du drapeau de la ville, sur lesquels figurent des symboles de communautés ayant contribué de manière importante à la fondation de Montréal : le trèfle irlandais, la rose anglaise, le chardon écossais et la fleur de lys française. Le pin, que l’ on retrouve également au centre du wampum de Hiawatha, symbolise l’ union des Six Nations membres de la Confédération Haudenosaunee, dont font partie les Mohawks. L’ ancien maire a même lancé « Goodbye, Mister Amherst! », s’ engageant à rebaptiser une artère importante de la ville, qui porte actuellement le nom du général anglais Jeffery Amherst, premier baron Amherst. Pendant la guerre contre les Français et les Amérindiens au 18e siècle, Amherst avait ordonné l’ envoi de couvertures contaminées par la variole aux Autochtones des environs de Montréal (et dans les faits, bien plus loin), geste que ses détracteurs qualifient de tentative de génocide.

Aux dires du maire Coderre, toutes ces initiatives ont été entreprises au nom de la « réconciliation » avec les peuples autochtones, à l’ occasion du 10e anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, du 150e anniversaire de la Confédération et du 375e anniversaire de Montréal.

Il y a par ailleurs 300 ans que le roi Louis XV de France a concédé aux sulpiciens (compagnie des prêtres de Saint-Sulpice) des terres « en fiducie » pour les Mohawks. Cet événement a déclenché une dispute sur le droit de propriété du territoire qui a culminé lors de la crise d’ Oka de 1990. Et la question n’ est pas encore réglée.

En 2017, Montréal a dévoilé son nouveau drapeau (ci-dessus) et ses nouvelles armoiries (ci-dessous), qui portent un pin blanc représentant les contributions des peuples autochtones à la ville.

Transportons-nous au Centre culturel et de langue Tsi Ronterihwanónhnha ne Kanien’ kéha de Kanehsatà:ke, au Québec, devant une carte du territoire kanien’ ke:háka de Kanehsatà:ke tel qu’ il existait avant la concession de 1717. Les noms de lieux sont ceux d’ avant les premiers contacts avec les colons. On y voit une région d’ environ 15 kilomètres carrés, qui s’ étend du village d’ Oka, au sud, jusqu’ aux abords de Saint Jérôme, au nord. À première vue, la carte n’ a rien de particulier, mais en y regardant de plus près, on peut apercevoir de gros numéros et des dièses en rouge qui se rapportent à un index de noms de lieux mohawks. Hilda Nicholas, directrice du centre, explique que ces noms sont en fait des descriptions. « Même nos propres noms décrivent parfois le temps qu’ il faisait le jour de notre naissance. Le nom de chaque personne a une signification. » La petite-fille de ma sœur s’ appelle Kawisaienhne, « celle qui amène la glace »; un nom prophétique, puisqu’ elle est née la veille de la grande tempête de verglas qui a fait des ravages dans l’ est du Canada en 1998.

« La plupart du temps, les mots sur la carte décrivent le paysage, ou encore une rivière. Celui-là, dit-elle en pointant la carte, signifie “fin de la rivière”, Tkaniá:tarens. Il y a aussi “grande rivière”, Kaniatarowanéhnhe. Et ici, “là où l’ eau tombe”, Tsi Tewa’ sèntha, ou l’ île Carillon. Chaque nom donné a sa raison d’ être – il en a toujours été ainsi. Kanehsatà:ke, c’ est notre nom pour le parc d’ Oka, son vrai nom. Il fait référence à la sève sur les arbres. Skahnéhtati signifie “de l’ autre côté des pins”. »

Je lui demande de me parler des villages aux alentours : Saint-Benoît, Saint-Placide, Saint-Eustache… « Mais nous, nous n’ avions pas de saints. Saint-Placide, c’ était Tken’ taró:ton, “là où se dressent les cheminées”. Saint-Eustache s’ appelait A’ nenharihthà:ke, “là où les raisins mûrissent”. Nous avons nos propres noms pour ces endroits. Quand on parle de Hudson, on dit “de l’ autre côté de la rivière”, ou Skanientará:ti. »

La carte montre où se trouvaient les champs de maïs, les sites de pêche et les plantes médicinales, chaque emplacement étant décrit par un marqueur géographique, qu’ il s’ agisse d’ une rivière, d’ une île ou d’ une colline. Mais qu’ est-il advenu de ces liens avec le territoire quand les lieux ont été renommés?

Le professeur Derek A. Smith, géographe culturel à l’ Université Carleton d’ Ottawa, explique que les noms de lieux ont été modifiés par les colons parce qu’ ils voulaient laisser leur propre marque sur le territoire, pour des raisons qui n’ avaient rien à voir avec la géographie, et tout à voir avec le contrôle : « Inscrire un nom sur une carte ou changer le nom d’ un endroit, c’ est une forme d’ imposition. C’ est une façon d’ établir son autorité sur le territoire. » C’ est ce qu’ on fait les colons avec leurs langues et leurs religions. Les exemples de lieux renommés en l’ hommage de saints ou des familles royales européennes pullulent.

D’ après Ressources naturelles Canada, la situation pourrait être en train de changer. On retrouve, sur une page Web dédiée aux noms de lieux autochtones, l’ affirmation suivante : « Aujourd’ hui, lorsque cela est possible, on s’ efforce de rétablir les noms traditionnels afin qu’ ils reflètent la culture autochtone. » Au Canada, près de 30 000 toponymes officiels sont d’ origine autochtone, et les provinces ont mis en place des groupes qui ont pour mission de restaurer les cartes et les noms de lieux originaux. Ressources naturelles Canada déclare par ailleurs : « Les noms de lieux autochtones contribuent à la préservation, à la revitalisation et au renforcement des histoires, des langues et des cultures autochtones. […] Ce travail de longue haleine est en constante évolution et met en valeur la coexistence de toutes les cultures qui ont érigé notre histoire et notre société. »

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