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atlas des peuples autochtones du Canada

Sports

Kyle Edwards est un Anishinaabe de la Première Nation de Lake Manitoba. Fraîchement diplômé de la Ryerson School of Journalism, il est rédacteur pour Maclean’ s à Toronto et a été candidat à un prix du magazine canadien en 2017.

L

e terrain extérieur de Tsha’  Thoñ’ nhes, sur le territoire de la Nation onondaga au nord-ouest de l’ État de New York, est vert et mouillé en ce frais matin d’ octobre, où plane l’ odeur de la pluie tombée la veille. Sous les nuages gris qui laissent présager une nouvelle averse, des dizaines de jeunes garçons font trembler la terre, sprintant d’ un côté à l’ autre, leurs casques laissant échapper, pour certains, une longue natte foncée. Qui sera le plus rapide? Puis, les coureurs, bâton à la main, entament des exercices sous la supervision de joueurs de crosse professionnels de la communauté. Au centre du terrain, Lyle Thompson, l’ un des athlètes et entraîneurs à la tête du camp, s’ adresse à un petit groupe : « Nous devons apprendre les uns des autres ». Un à un, les jeunes joueurs s’ élancent vers le filet. Ils feintent et pivotent pour dépasser Thompson avant d’ incliner leur bâton et de projeter à toute vitesse la balle entre les poteaux.

« C’ est médicinal », lance une femme du côté du terrain, là où les parents rassemblés observent leurs fils d’ un œil fier.

Le camp de crosse des frères Thompson accueille plus de 300 jeunes joueurs de crosse dans le cadre d’ un festival de quatre jours qui porte le nom du jeu lui-même : Deyhontsigwa’ ehs, ce qui signifie « ils se heurtent les hanches » en onondaga. Le jeu est également appelé tewaaraton en mohawk, et baggataway par les groupes algonquins. Les participants se sont rassemblés en l’ honneur du « jeu du Créateur ». Le sport a joué un rôle essentiel dans la grande loi de paix qui, il y a plus de 1 000 ans, a réuni en la Confédération Haudenosaunee les Mohawks, les Oneidas, les Onondagas, les Cayugas, les Senecas et, plus tard, les Tuscaroras. C’ est un jeu qui inspire les communautés autochtones, et des matchs cérémonials sont souvent organisés pour guérir les peuples. Comme le dit Thompson, « notre localité n’ est pas grande, mais la crosse y occupe une place énorme ».

Lyle Thompson (numéro 4) des Iroquois Nationals lors du Championnat du monde de crosse en enclos, 2015.

Chez les Onondagas, on dépose un bâton de crosse traditionnel en bois dans le berceau des nouveau-nés mâles, qui apprendront à apprécier, à chérir et à respecter le jeu. Ce même bâton sera un jour placé dans leur sépulture afin qu’ ils puissent disputer d’ autres matchs avec leurs ancêtres et le Créateur. Thompson fut jadis l’ un de ces garçons. Né pour jouer, il est aujourd’ hui athlète de crosse professionnel au sein des Iroquois Nationals, aux côtés de ses trois frères aînés Miles, Jeremy et Hiana.

Âgé d’ à peine 25 ans, il est souvent considéré comme l’ un des plus grands joueurs de crosse au monde. Enfant, il ne lâchait jamais son bâton et s’ empressait, en hiver, d’ aller déneiger la cour pour pouvoir s’ entraîner. Il a établi, en 2015, le record collégial de la NCAA du plus grand nombre de buts et d’ aides. Non content d’ avoir été le premier Autochtone à recevoir le prix Tewaaraton du joueur de crosse masculin de l’ année (avec son frère Miles), il a été le premier à le remporter deux années de suite. Pour Thompson, la crosse est plus qu’ un simple jeu. « C’ est un sport de compétition qui revêt pour nous une signification au-delà de gagner ou de perdre. C’ est quelque chose qu’ on nous enseigne. Le jeu a des propriétés de guérison – on y joue en hommage au Créateur. »

Les Autochtones pratiquent la crosse depuis des milliers d’ années. Le jeu remonte au 12e siècle. Il est considéré comme un cadeau du Créateur, comme Son jeu préféré, auquel on s’ adonne depuis toujours pour Son divertissement. Il y a longtemps, le territoire où l’ on pratiquait la crosse allait de l’ ouest, chez les Ojibwés de la rivière Rouge, jusqu’ au sud chez les Séminoles, là où se trouve aujourd’ hui la Floride, et à l’ est chez les Pescomodys du Maine. Des centaines de joueurs se disputaient alors la balle sur des terrains de plus d’ un kilomètre de long, tous reconnaissants au Créateur de leur avoir fait cadeau de ce jeu. Les matchs duraient des jours. Encore aujourd’ hui, alors que chaque nation a sa propre version traditionnelle du sport et utilise des bâtons qui diffèrent entre eux par leur forme et leur longueur, la dimension spirituelle reste la même.

Photo ancienne d’ un joueur de crosse au champ en action.

Le récit des origines de la crosse est transmis oralement depuis des temps immémoriaux, et les enfants qui grandissent dans les milieux où l’ on pratique ce sport l’ entendent de la bouche de leurs aînés et de leurs entraîneurs dès qu’ on leur remet leur premier bâton.

Au début, il y eut un grand jeu opposant les animaux à quatre pattes aux oiseaux : d’ un côté, un ours, un chevreuil et une tortue; de l’ autre, un aigle, un faucon et un hibou. Les oiseaux, qui planifiaient leur stratégie du haut d’ un grand arbre, virent deux petits animaux, qui ne leur semblaient pas plus gros qu’ une plume, grimper jusqu’ à eux. Il s’ agissait d’ un écureuil et d’ une souris, qui avaient été rejetés par l’ autre équipe à cause de leur taille menue. Ils demandèrent aux oiseaux s’ ils pouvaient se joindre à leur équipe. D’ emblée, les oiseaux ne virent pas ce que pourraient apporter ces créatures à leur trio, mais ils eurent une idée. Selon la légende, ils se servirent du cuir d’ un tambour à eau pour transformer la souris en chauve-souris, puis tirèrent les membres du second rongeur jusqu’ à ce qu’ il puisse planer dans les airs à la manière d’ un écureuil volant. C’ est finalement la chauve-souris qui donna la victoire à son équipe, elle qui, une fois ses habiletés révélées, ne laissa jamais tomber la balle. Cette histoire enseigne aux Autochtones l’ importance de traiter comme il se doit tous les êtres vivants, et de respecter les autres, quelles que soient leurs compétences ou leur stature.

Vers la fin de la décennie 1860, le dentiste canadien William George Beers, dans son désir de « civiliser » les règles du jeu, a mené une campagne pour en faire le sport national du Canada. Quant à la National Lacrosse Association (aujourd’ hui l’ Association canadienne de crosse), fondée en 1867, elle a initialement banni les joueurs autochtones de la compétition. Mais malgré l’ influence qu’ ont eue les colons européens sur le sport moderne, la pratique traditionnelle demeure intacte.

Thompson croit que son style, lorsqu’ il manie le bâton, lui provient de l’ excellente vision du faucon. Il n’ y a donc rien de surprenant au fait que son nom traditionnel est Deyhahsanoonedy, qui signifie « il vole au-dessus de nous ». « Aujourd’ hui, on utilise des bâtons de plastique, mais je continue quand même à observer le caractère sacré du jeu. »

Le jeu a des propriétés de guérison – on y joue en hommage au Créateur.

Les Iroquois Nationals, seule équipe sportive d’ une nation autochtone d’ Amérique du Nord à compétitionner à l’ international, gardent cette tradition bien en vie. Quand ils jouent à l’ étranger, les joueurs présentent leur passeport de la Confédération Haudenosaunee. L’ équipe, fondée par le gardien de la foi Oren Lyons, a été acceptée dans la Federation of International Lacrosse en 1988. Elle accepte dans ses rangs des athlètes de toutes les nations amérindiennes. Depuis sa formation, elle a décroché quatre médailles d’ argent de suite au Championnat du monde de crosse en enclos.

La seule chose qui manquait à l’ équipe était une médaille du Championnat du monde de crosse au champ, un tournoi qui a lieu sur un vaste terrain extérieur, et l’ occasion était là à Denver, en 2014. Les Iroquois Nationals, qui comptaient parmi leurs joueurs les frères Thompson et plusieurs autres vedettes autochtones du sport, étaient persuadés que la victoire était à leur portée et qu’ ils pourraient se réapproprier le jeu. L’ équipe fut accueillie par des admirateurs des quatre coins de la contrée indienne. « Nous avons vu l’ importance des Iroquois Nationals, non seulement pour notre communauté, mais pour tous les Autochtones », se souvient Thompson. Mais malgré tous les efforts déployés contre ses deux principaux rivaux, le Canada et les États-Unis, l’ équipe est rentrée chez elle avec une médaille de bronze.

L’ exploit a tout de même rappelé au monde que les Iroquois Nationals sont de redoutables adversaires. Depuis, le nom de Thompson est sur toutes les lèvres dans le monde de la crosse. Et d’ après le plus jeune frère, l’ équipe vise maintenant l’ argent ou l’ or au prochain Championnat.

Mais revenons au festival Deyhontsigwa’ ehs de la Nation onondaga, où de jeunes Autochtones sont venus de partout en Amérique du Nord pour rencontrer leurs idoles. Des chanteurs traditionnels munis de tambours à main s’ exécutent d’ une voix tonitruante sous une tente à proximité, tandis que des danseurs suivent le rythme. Au beau milieu de la séance d’ entraînement, le soleil perce les nuages gris et vient rayonner sur les jeunes joueurs qui honorent le Créateur par leur jeu. Quand ils ont terminé, ils se rassemblent autour de Thompson et se pendent à ses lèvres, le regard rempli d’ admiration.

« Nous sommes pleins de gratitude pour le jeu et ce qu’ il nous apporte, conclut l’ athlète. Et nous voulons redonner à ces jeunes, leur offrir un espoir pour l’ avenir et les inspirer. »

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