Réparer pour guérir
De nos jours, l’ expression « survivants » est souvent utilisée pour désigner les dizaines de milliers d’ anciens pensionnaires indiens du Canada qui sont toujours des nôtres pour raconter leur expérience. On emploie entre autres ce terme en mémoire des élèves qui ne sont jamais rentrés chez eux, et dans un souci de rendre justice aux anciens pensionnaires, qui ont vu pour la majorité leur esprit, leur corps, leur culture, leur langue, leurs rapports familiaux et leur identité gravement et durablement mis à mal. Pendant des décennies, les survivants ont élevé la voix dans une quête de reconnaissance, de guérison et de justice, demandant au gouvernement et au pays d’ admettre ce qu’ ils ont dû endurer. C’ est pourquoi ils sont au cœur de cette grande démarche visant à lever le voile sur les pensionnats et à favoriser la réconciliation, démarche maintenant enclenchée au pays. Ce sont leurs voix unies, réclamant la guérison, qui forcent le pays à faire face à son passé et à prendre la responsabilité des torts causés aux peuples, aux communautés, aux nations et aux cultures autochtones.
Ce n’ est que maintenant que le grand public ouvre les yeux sur la vérité des pensionnats, et pourtant, les survivants en parlent depuis les années 1960. En effet, durant la seconde moitié du 20e siècle, les survivants se sont mis à raconter des épisodes de leur enfance dans les pensionnats sous forme de mémoires, de romans, de chansons, de poèmes et d’ œuvres d’ art visuelles, comme la sculpture. Mais, à l’ époque, ces histoires n’ étaient pas écoutées par la population – ou, si elles l’ étaient, elles n’ étaient
pas crues.
Il a fallu plusieurs décennies avant que les Canadiens ne croient à ces récits, notamment à la violence faite aux jeunes enfants par des membres de l’ Église dans leurs communautés. Certains survivants ont d’ ailleurs rapporté que même leurs propres parents ne croyaient pas ce qui se passait dans les pensionnats. La direction des écoles – aidée par les clivages sociaux entre Autochtones et non-Autochtones – savait très bien soustraire la maltraitance et la souffrance des élèves au regard du reste des Canadiens. Les survivants se regroupaient souvent pour échanger sur leur expérience, que ce soit lors d’ une rencontre à l’ école, autour d’ une table de cuisine, dans une salle communautaire ou bien dans le bureau d’ un conseil de bande. De la fin des années 1980 jusqu’ aux années 1990, de nombreux groupes de survivants ont fait front commun pour actionner les institutions religieuses et gouvernementales responsables des sévices commis à leur endroit dans les pensionnats.
Nora Bernard, survivante du pensionnat Shubenacadie en Nouvelle-Écosse, a commencé à rencontrer d’ autres survivants autour de sa table à manger en 1987, avec qui elle a formé une association en 1995. Les rangs ont grossi au fil des années : en 1998, on y comptait 900 membres des quatre coins du Canada. Le groupe a déclenché un mouvement voué à faire reconnaître l’ histoire des survivants et à obtenir réparation, un mouvement qui n’ a pas tardé à entraîner les dirigeants d’ organisations inuites et des chefs de Premières Nations. En 2006, après des années de litige et de travail pour obtenir réparation, une centaine de communautés religieuses, le gouvernement fédéral, des avocats représentant les survivants, l’ Assemblée des Premières Nations et l’ organisme Inuit Tapiriit Kanatami ont convenu de régler le litige en concluant la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI) – le plus important règlement de recours collectif de l’ histoire du Canada.
Mme Bernard, qui a tragiquement perdu la vie un an plus tard, a été décorée à titre posthume de l’ Ordre de la Nouvelle-Écosse en 2008, en reconnaissance de sa lutte acharnée et visionnaire pour la réconciliation.
De la Convention sont nées des initiatives de guérison, de compensation et de commémoration, en plus de la Commission de vérité et réconciliation. En date de 2017, plus de 38 000 réclamations pour sévices sexuels et physiques graves avaient été reçues dans le cadre du Processus d’ évaluation indépendant, et plus de 80 000 survivants avaient reçu un paiement d’ expérience commune, en réparation des torts subis par le simple fait d’ avoir fréquenté un pensionnat.
En 1990, Phil Fontaine – survivant et ancien chef national de l’ Assemblée des Premières Nations – a parlé publiquement de la violence physique et sexuelle dont il a été victime au pensionnat Fort Alexander, au Manitoba. Si son témoignage a choqué de nombreux Canadiens, sa prise de parole courageuse a ouvert la voie à des milliers d’ autres survivants pour qu’ ils racontent eux aussi leur expérience. Plus la prise de conscience générale et la couverture médiatique à l’ égard des pensionnats prenaient de l’ ampleur, moins les survivants craignaient de s’ ouvrir. Toutefois, malgré cette prise de parole émergente, il ne faut pas sous-estimer le caractère pénible de la chose pour les survivants.
La Fondation autochtone de guérison (FADG) a été créée en 1998, à l’ issue des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones et après la Déclaration de réconciliation faite par la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. À l’ origine, la Fondation a reçu une subvention de 350 millions de dollars pour des programmes de guérison communautaires destinés aux survivants métis, inuits et membres des Premières Nations. Les communautés disposaient toutes de leurs propres programmes, conçus selon leurs besoins respectifs et souvent ancrés dans les pratiques et les cérémonies de guérison traditionnelles. En 2007, au titre de la CRRPI, la Fondation a reçu des fonds supplémentaires de 125 millions de dollars. En 2014, tandis que s’ amorçait le processus de guérison un peu partout dans le pays, le gouvernement fédéral n’ a pas renouvelé le financement : ainsi, à l’ automne, la Fondation autochtone de guérison a cessé d’ exister.
La guérison des survivants, des victimes des traumatismes intergénérationnels et des communautés est indissociable de pratiques de guérison autochtones enracinées dans les enseignements, les pratiques culturelles et les visions du monde des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Pour aller de l’ avant, il est crucial de reconnaître les divers types de préjudices subis par les peuples autochtones dans les pensionnats et dans le cadre des politiques d’ assimilation forcée du Canada. Les pratiques de guérison doivent tenir compte des torts causés par les pensionnats aux communautés et aux anciens pensionnaires sur les plans émotif, mental, spirituel et physique. Essentiellement, il faut que soient pleinement reconnues les conséquences dévastatrices des traumatismes vécus dans la petite enfance sur les individus et les communautés. Et, malheureusement, la guérison d’ un tel traumatisme est l’ affaire de toute une vie, un cheminement qui se poursuit jour après jour.
De plus, il faut que soit reconnue l’ incidence directe des pensionnats et des politiques d’ assimilation forcée sur l’ état de santé actuel des Autochtones. Au cœur de la démarche de guérison réside la nécessité de régler les problèmes complexes causés dans les relations intrafamiliales et interfamiliales, et de rétablir une vie communautaire et familiale harmonieuse, en accord avec les principes et les pratiques autochtones.
Soulignons aussi l’ importance pour les survivants et les peuples autochtones de renouer avec le territoire, la langue et d’ autres éléments culturels.
Il reste beaucoup de chemin à faire : la guérison complète ne sera possible qu’ au terme de plusieurs générations. Le travail national nécessaire exigera des investissements continus en vue d’ inciter les gens à dire la vérité, de favoriser la revitalisation culturelle, le counseling dans les cas de traumatisme et les pratiques de guérison traditionnelles, ainsi que de guérir la violence physique faite aux Autochtones pendant de longues années de politiques d’ assimilation forcée.
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