Racisme
Je suis d’ origine tsimshiane et japonaise, et j’ ai passé les 11 premières années de ma vie près d’ une conserverie de poisson sur le territoire des Tsimshians, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Notre petite communauté était composée de quatre groupes distincts : le « village » (des familles des Premières Nations venant d’ autres nations et territoires), les « administrateurs de la conserverie » (principalement des Européens), les « Asiatiques » (des pêcheurs et des employés de la conserverie d’ origine japonaise et chinoise) et enfin, les « autres » (ceux qui, comme ma famille, n’ entraient dans aucune catégorie particulière). Il y avait une différence marquée entre ces groupes, que l’ on pouvait constater par le type d’ habitation et le portefeuille. Les familles du « village » vivaient dans de petites maisons en rangée exiguës sans salle de bain; il n’ était pas rare que cinq personnes ou plus se partagent deux chambres, voire une seule. Les autres groupes, eux, habitaient dans de grandes maisons dotées de toilettes à chasse d’ eau. Cette ségrégation rappelait constamment à mon esprit d’ enfant combien les gens accordent de l’ importance aux différences.
Il y avait une différence marquée entre ces groupes, que l’ on pouvait constater par le type d’ habitation et le portefeuille.
J’ ai appris toute jeune que la différence n’ était pas quelque chose de positif. Les gens étaient souvent maltraités simplement à cause de leur différence : mépris, manque de respect, moqueries, railleries, rejet… Je me souviens de querelles à propos de différences, où on lançait des insultes et des roches, sans parler des menaces. « Tiens-toi tranquille ou je te bats! » Je savais que j’ étais différente, et je ne voulais pas me faire battre. Alors moi aussi, j’ ai commencé à insulter les autres pour qu’ on m’ accepte. Je croyais qu’ en agissant ainsi, je prouverais ma valeur et je me sentirais enfin du groupe. Mais lorsque la poussière retombait, je me sentais encore plus isolée, parce que je m’ étais rangée d’ un côté. Je me suis rendu compte que je vivais un perpétuel conflit intérieur entre la personne que j’ étais et celle que je voulais devenir. Il y avait discordance.
Plus de 40 ans se sont écoulés depuis que j’ habitais dans ce village de conserverie. Mais même si je suis maintenant plus fière de mes origines métissées, je dois constamment faire des efforts pour surmonter mes tourments de jeunesse. J’ ai tendance à aborder les situations nouvelles ou possiblement déplaisantes avec prudence, et à peser chacun de mes mots. C’ est parfois une qualité; je constate que les expériences de ma jeunesse m’ ont appris à interpréter attentivement le ton, la voix et le langage corporel. Je prends le temps d’ observer, d’ analyser et de situer les conversations avant d’ y prendre part. Cependant, ce trait social devient un obstacle lorsque je me sens menacée, que ce soit sur le plan physique, psychologique, spirituel ou émotif. Lorsque je perçois une menace pour mon bien-être, je perds aussitôt tous mes moyens : je suis paralysée et incapable d’ agir.
C’ est arrivé il y a quelque temps, lorsque mon mari et moi sommes allés au restaurant à la fin d’ une semaine chargée au travail. Alors que nous mangions tranquillement, nous avons été interrompus par un rappel brutal que le racisme était bien réel. J’ entendais un petit groupe d’ hommes blancs parler des « Indiens ». Il semblait être question des politiques fédérales sur la pêche. La conversation s’ est rapidement transformée en propos acerbes sur les personnes autochtones. Leurs opinions tranchées prenaient de plus en plus de place dans le restaurant, et moi j’ étais clouée à ma chaise, sous le choc. J’ ai discrètement attiré l’ attention de mon mari, pris par son téléphone, et lui ai demandé tout bas s’ il entendait ce qui se disait à la table voisine.
L’ un des hommes a lancé : « Voulez-vous bien me dire c’ est quoi ce règlement qui détermine qui est un Indien et qui ne l’ est pas? “Un quart de sang”, non mais, comment veux-tu prouver ça! » Ensuite, ils se sont moqués de la valeur que nous accordons à la terre, aux animaux et à l’ environnement, de notre amour intrinsèque pour la nature. L’ un d’ eux a dit à la blague : « Ils s’ opposent à tout! Le pétrole, le gaz, les terres, l’ eau… tout! » Ils ont ridiculisé et dévalorisé le système d’ éducation : « Nos impôts financent les quelques Indiens qui ont réussi à devenir avocats et qui poursuivent maintenant nos gouvernements à tour de bras. Ils se prennent pour qui? » L’ un des hommes ne s’ est pas gêné pour exagérer le nombre de cas de revendications territoriales : « Y’ a un nouveau foutu cas par jour dans les tribunaux! » Et un autre de s’ exclamer : « Pouvez-vous croire? Des Indiens qui pêchent dans la rivière avec des chariots d’ épicerie. Des maudits chariots d’ épicerie! N’ importe quoi! » Les attaques fusaient, et tout le monde acquiesçait autour de la table. J’ avais peur de lever les yeux pour voir si d’ autres clients les entendaient, ou les écoutaient.
À chaque nouvelle remarque, je réprimais l’ envie de me cacher sous la table telle une tortue qui se réfugie dans sa carapace. Que faire, ou ne pas faire? Je vivais un dilemme intérieur; j’ avais des palpitations et l’ estomac noué. Je savais que je voulais agir, mais j’ étais tétanisée. Aujourd’ hui, je comprends la source de mon malaise : j’ avais peur que l’ un d’ eux se mette à m’ insulter directement s’ il remarquait que j’ étais une membre des Premières Nations. Cette peur paralysante me plongeait dans un tourbillon de douleur et de culpabilité. Elle me rappelait vivement comment je me sentais, enfant, lorsque je peinais à trouver ma place. Ce sentiment était, et est encore, aussi douloureux que la culpabilité que je ressentais, car j’ avais momentanément oublié que j’ étais fière de qui je suis. J’ étais assise là, incapable de bouger, à retenir les larmes qui me brûlaient les yeux. Mon incapacité à tenir tête aux racistes de la table d’ à côté était à l’ opposé de ce que j’ aurais voulu faire. Ma tête me disait « profite de l’ occasion pour les éduquer, pour combattre l’ ignorance », mais mon cœur, lui, m’ appelait à protéger mon corps, mon âme et mon esprit. J’ ai écouté mon cœur, car je sentais que je devais avant tout prendre soin de moi.
Je me demande comment je me serais sentie si j’ avais défié ces hommes racistes. Peut-être que cela m’ aurait aidée, d’ une façon que je ne peux imaginer. Peut-être pas. Quoi qu’ il en soit, je sais que le fait de repenser à cet incident m’ aide à aborder ce genre de situations dans le cadre de mon travail. Je n’ ai peut-être pas tenu tête à ces hommes ce jour-là, mais aujourd’ hui, je peux raconter mes histoires (celle-ci et d’ autres) lorsque je discute avec des élèves adultes de l’ importance d’ accepter qui l’ on est et nos forces. Je mets ainsi en pratique les paroles de ma mère, une Tsimshiane, qui disait toujours : « Il ne faut pas chercher à être accepté ou à devenir quelqu’ un d’ autre; il faut être fier de qui l’ on est et de ses origines. »
Je ne suis plus cette enfant qui avait si peur d’ être différente. Je suis fière de qui je suis.
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