EN | FR

atlas des peuples autochtones du Canada

Pourquoi le pensionnat de Muscowequan est toujours là

En Saskatchewan, un dernier pensionnat demeure : le pensionnat de Muscowequan. Il sert aujourd’ hui de monument en mémoire des atrocités perpétrées par les Églises et le gouvernement fédéral du Canada au nom de l’ assimilation, et de lieu pour se souvenir de l’ histoire de la Première nation de Muskowekwan et pleurer
ses malheurs.

Comme c’ est le cas pour bon nombre de pensionnats de l’ époque, l’ emplacement exact du bâtiment initial – construit vers 1886 – ne figure dans aucun document. Il a d’ ailleurs changé de mains : il a d’ abord été dirigé par l’ Église catholique, ensuite par le gouvernement fédéral et, enfin, par le centre éducatif de Muskowekwan. Déplacé et renommé plusieurs fois, le bâtiment a été élargi et, comme bien d’ autres pensionnats, anéanti par les flammes et rebâti dans les environs. Même si cette école aujourd’ hui abandonnée tombe en ruine, le Conseil tribal de Touchwood Agency – qui représente les Premières Nations dans la vallée de Qu’ Appelle, en Saskatchewan – pense qu’ elle est essentielle pour perpétuer la sensibilisation du public et éviter que l’ histoire des pensionnats ne plonge dans l’ oubli.

Le pensionnat a cessé d’ être administré par l’ État en 1982 et a officiellement fermé ses portes en 1997, année où le gouvernement de la Saskatchewan a offert à la Touchwood Agency des fonds pour démolir le bâtiment. L’ organisme a toutefois refusé, aspirant à transformer l’ établissement en musée et en centre d’ archives : un lieu pour rendre hommage aux victimes et garder éveillées la mémoire et la conscience collectives. Malgré l’ histoire derrière le bâtiment, les survivants et la population des environs croient fermement qu’ il faut le préserver pour en faire un lieu de souvenir. Selon les rapports officiels et les récits oraux des gens du coin, il resterait encore au moins trois lieux de sépulture non marqués où des enfants reposent. En 1992, une entreprise de construction a accidentellement déterré une vingtaine de corps. On pense toutefois que les enfants inhumés à cet endroit sont plus nombreux, mais le nombre exact reste inconnu.

Le dossier n’ est pas encore réglé, mais la Touchwood Agency prévoit, dans un souci de respect, consigner les cas des enfants qui n’ ont pas été identifiés et honorer leur mémoire en préservant le lieu de leur dernier repos. Pour la communauté de Muskowekwan, le pensionnat est un endroit lourd de sens : un lieu de préservation de la mémoire collective, permettant de se rappeler les épreuves traversées par les enfants et la communauté et de rendre hommage à la persévérance, à la lutte pour la survie et à la résistance des nombreux enfants et parents touchés par le pensionnat. Comme le bâtiment, eux non plus ne cèdent pas sous le poids du passé. Malgré les attaques répétées à l’ encontre de leur mode de vie et de leurs pratiques traditionnelles, ils restent debout et regardent vers l’ avenir. Un avenir plus beau.

Au pays, nombreux sont les anciens élèves qui voient les pensionnats comme les derniers vestiges de la résistance contre le projet de colonisation intensive du Canada, voué à éliminer du paysage culturel les enfants autochtones – leurs voix, leurs traditions, leur culture. Ce sont les pensionnats qui ont mené à la perte du savoir traditionnel, des identités et des langues des Autochtones.

coloured map of Saskatchewan with labelled cities/towns and schools
Le pensionnat de Muscowequan, aujourd’ hui (à gauche)

Encadré : Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués

Les lieux de sépulture non marqués près du pensionnat de Muscowequan ne représentent qu’ une infime partie des centaines d’ emplacements répertoriés par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) dans tout le Canada. Les dossiers de la CVR font état du décès de plus de 3 100 pensionnaires, quoique le vrai nombre pourrait être de l’ ordre de 6 000, sinon plus. Autrefois, il était de pratique courante d’ accoler un cimetière au pensionnat. D’ ailleurs, bon nombre de cimetières ne sont encore ni marqués ni déclarés, que ce soit ceux situés près des anciens sites de certains pensionnats ou ceux situés à côté de pensionnats toujours debout ou dont le bâtiment est encore en usage aujourd’ hui. Il reste beaucoup à faire pour honorer la mémoire des enfants disparus comme il se doit. Selon les estimations, on compterait encore jusqu’ à 400 lieux de sépulture non marqués près des sites des anciens pensionnats.

Le nombre de pensionnaires disparus est l’ un des aspects les plus sombres de ce chapitre de l’ histoire. Les enfants mouraient à cause de maladies, de mauvais traitements, de négligence et, parfois, de tentatives d’ évasion échouées. Ce n’ était souvent qu’ après des semaines, voire des mois, que les parents apprenaient la mort de leur enfant. Et nombreuses sont les familles qui attendent encore une réponse. Le sénateur Murray Sinclair, ancien président de la CVR, a résumé la situation en soulignant son caractère inacceptable : les responsables des pensionnats n’ ont tout simplement pas pris la peine de tenir un registre des enfants qui sont morts.

J’ ai toujours blâmé le pensionnat d’ avoir tué mon frère. Il s’ appelait Dalton. Jamais, jamais, jamais je ne leur pardonnerai. Je ne sais pas si mon père et ma mère ont déjà su comment il était mort, mais moi, je ne l’ ai jamais su. Mais je sais qu’ il est mort là-bas. Ils m’ ont autorisé à aller le voir une fois avant sa mort, et il ne m’ a même pas reconnu. Il n’ était qu’ un petit garçon allongé dans un lit, à l’ infirmerie, en train de mourir. Mais moi, je ne savais pas qu’ il était en train de mourir. Je l’ ai juste appris après. Vous savez, c’ est, c’ était la fin de mon éducation.

– Ray Silver, Les survivants s’ expriment : Un rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada

Dans le rapport Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’ action, on invite le Centre national pour la vérité et réconciliation, les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et les communautés locales à prendre la relève du groupe de travail de la CVR dans le dossier des enfants disparus et des lieux de sépulture non marqués. Les communautés les plus touchées devront guider les autres parties dans ce travail important. Ce qui est crucial, c’ est d’ admettre que certains enfants ne seront jamais identifiés à cause de l’ œuvre du temps et d’ un registre mal tenu. Des enfants devront parfois être ramenés à la maison. C’ est donc dans une entreprise très délicate que doit s’ engager le pays pour, enfin, respecter et honorer la mémoire des pensionnaires qui ne sont jamais rentrés chez eux et leur offrir le lieu de repos qu’ ils méritent.

Commandez maintenant

sur Amazon.ca ou Chapters.Indigo.ca, ou communiquer avec votre libraire ou marchand éducatif préféré