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atlas des peuples autochtones du Canada

Nourriture

Racelle Kooy, également connue sous le nom de Laloya, est d’ ascendance st’ át’ imque, secwepemque et hollandaise, et membre de la Première Nation de Samahquam. Elle habite en communauté, à l’ extrême nord de Secwepemcúlecw (Xat’ súll), où ses plus proches voisins sont des chevaux et des ours.

Air, eau, forêt, subsistance, cérémonie. Cinq éléments réunis dans le saumon, que je considère, de mon point de vue façonné par mes racines st’ át’ imques, secwepemques et hollandaises, comme un être primordial. Petite, je grimpais à bord des nombreuses embarcations amarrées le long de l’ « atelier flottant » de mon père, un remorqueur de 30 mètres converti en local de réparation de bateaux de pêche commerciale. Les capitaines de bateau senneur avec lesquels je me souviens avoir échangé étaient soit membres d’ une Première Nation, soit croates. Dans mon enfance, le saumon était abondant et accessible; il suffisait de demander pour que se matérialise une gaffe et que s’ ouvre une cale en fibre de verre regorgeant de poissons à chair rose et de glace pilée.

L’œuvre Oiseau-tonnerre et saumon, réalisée par l’artiste salish de la côte de Musqueam, Susan Point.

Mais c’ était il y a plus de trente ans. Aujourd’ hui, on ne peut pas évoquer le saumon sans regretter l’ abondance de jadis, ou s’ attrister du spectacle navrant de sa montaison. Ni sans penser à sa population toujours déclinante qui remonte vers les frayères, et aux ravages causés par l’ extraction des ressources, l’ agriculture et l’ urbanisation.

J’ habite maintenant à l’ extrême nord de Secwepemcúlecw, près du lac Quesnel, où les stocks de saumon, la qualité de l’ eau et l’ environnement en aval subissent encore les conséquences de la catastrophe du mont Polley de 2014, lors de laquelle des milliers de tonnes de résidus toxiques des opérations minières se sont déversées dans le lac Polley. Une étude de la Régie de la santé des Premières Nations de Colombie-Britannique, menée auprès des Premières Nations touchées par le déversement, a révélé des répercussions immédiates et prolongées sur les territoires, la nourriture et les remèdes traditionnels des Xat’ súlls, des T’ exelcemcs et des Lhtako Dénés. Dans les communautés, où l’ on craint la contamination, toutes les activités liées à la pêche ont été ralenties. On ignore encore l’ ampleur réelle des répercussions, mais l’ heure est assez grave pour que la section canadienne d’ Amnistie internationale ait attiré l’ attention de la communauté internationale sur la situation, et que le Groupe de travail des Nations Unies au sujet des entreprises et des droits de l’ homme se soit rendu sur place en 2017.

Pour moi, le saumon n’ est pas qu’ une simple protéine à insérer dans un plan alimentaire de base – quoique la plupart des nutritionnistes vantent sans hésiter ses nombreux bienfaits. Il s’ agit d’ un mets de célébration, d’ un marqueur culinaire de cérémonie, que celle-ci ait lieu en l’ honneur de la vie, de la mort ou d’ une dénomination. Pour moi, il va sans dire que quand on compte recevoir en une telle occasion, la première chose à faire est de vérifier combien de conserves de saumon maison sont rangées dans le garde-manger, et combien de ces précieux poissons sont empilés dans le congélateur.

Un filet en avant d’un ts’wan (saumon séché à l’air libre).

Comment expliquer la valeur du saumon? Disons qu’ un simple colis contenant du ts’ wan (saumon séché à l’ air) a le pouvoir de guérir sur-le-champ le mal du pays le plus tenace. Je me souviens d’ une personne fort attentionnée qui m’ a offert des cartes téléphoniques internationales et un sac rempli de saumon séché avant mon départ pour un échange étudiant en Europe. Chaque morceau, soigneusement rationné, fut mis de côté en prévision des moments où j’ allais être dépassée par l’ étrangeté de l’ endroit ou de la culture. Dans les communautés des Premières Nations, un visiteur qui reçoit un bocal ou, encore mieux, une caisse de saumon fumé ou en conserve fait maison, se voit en fait offrir un cadeau à chérir et à partager autour du feu avec sa famille élargie lorsqu’ il sera de retour à la maison.

Le saumon est si important dans mon univers qu’ il réunit mes amis les plus proches. Depuis 20 ans, Cheryl Chapman, sensibilisatrice de la communauté xat’ súlle, coordonne le pow-wow traditionnel Save-the-Salmon, durant lequel des danseurs s’ exécutent près des frayères à saumon de Horsefly, en Colombie-Britannique. Récemment, ceux-ci ont d’ ailleurs dansé aux abords du fleuve Fraser, près de quatre rochers qu’ utilisent les Xat’ súlls pour la pêche à l’ épuisette, à Xat’ súll Heritage Village. Cheryl affectionne particulièrement ce lieu touristique et y a consacré beaucoup de temps et d’ énergie. Elle adore présenter les visiteurs aux aînés de sa famille, qui ont tous un vécu à raconter, et leur faire profiter de festins s’ qelsém de saumon et de légumes racines cuits dans le sable selon la manière traditionnelle. À l’ aide de la Terre-Mère, du feu et de la pierre de lave « grand-père », elle façonne la « mijoteuse originale »; une expérience d’ écogastronomie qui n’ a pas son pareil!

Pour moi, le saumon n’ est pas qu’ une simple protéine à insérer dans un plan alimentaire de base…

Sunny LeBourdais – une autre amie chère – et sa famille s’ efforcent de faire découvrir la pêche à l’ épuisette à l’ aide de leur rocher de pêche C. Wéwlemten, qui se trouve le long du fleuve Fraser, près de Kelly Creek. Écologiste, éducatrice et bâtisseuse communautaire, Sunny est déterminée à préserver le rôle des membres de sa famille, celui de gardiens et intendants de leur région pour le bien-être de la Nation secwepemque, ou Yucwminmen te Secwepemcúlecw. Avec la People of the White Earth Society (Pelltíq’ t te Secwepemc), sa famille et elle ont publié Our Fishing Journey, un livre électronique primé au sujet de leur site de pêche.

Quand je visite d’ autres Premières Nations de la Colombie-Britannique, personne ne s’ entend sur les meilleures montaisons ou les modes de cuisson ou de fumage par excellence, mais tous, sans exception, reconnaissent le rôle central que joue le saumon dans nos fêtes et nos cérémonies. Si j’ ai de la chance, on me raconte l’ histoire de l’ arrivée du saumon sur le territoire – et je vous invite, si vous passez un jour par Secwepemcúlecw, à tendre l’ oreille. Vous entendrez peut-être le mythe de Coyote et Saumon, un récit imprégné de nos enseignements et de nos lois. Et je souhaite que cette expérience vous aide à comprendre la valeur que nous accordons au saumon.

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