EN | FR

atlas des peuples autochtones du Canada

Modes de vie traditionnels

Paul Seesequasis, Cri-des-Saules, est auteur et journaliste. Il habite à Saskatoon et fait partie de la Première Nation Beardy’ s et Okemasis.

James Jerome a vu le jour le 31 juillet 1949, dans un hameau au nord des Territoires du Nord-Ouest appelé Aklavik. Comme des générations de Gwich’ ins avant lui, il a grandi dans un camp, sur une terre connue sous le nom de Big Rock, aux abords du fleuve Mackenzie. Son père, Joe Bernard Jerome, était gendarme spécial de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), trappeur et chef des Gwichya Gwich’ ins de la rivière Arctic Red (Tsiigehtchic). Sa mère était Celina Jerome, née Coyen. Benjamin de la famille, il avait trois frères et deux demi-sœurs. Après avoir passé des années auprès des siens, à chasser et à pêcher, il a été envoyé au pensionnat indien Grollier Hall, à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.

À 12 ans, le jeune homme a reçu de sa mère un cadeau qui a changé sa vie à tout jamais : son premier appareil photo.

Il avait déjà perdu ses deux parents quand il a terminé son secondaire. Son diplôme en poche, il a suivi une formation de soudeur et est parti visiter le Canada avant de revenir à sa demeure ancestrale du delta du Mackenzie, où sa flamme artistique s’ est ravivée. En cette période, son lien avec la culture et les traditions des Gwich’ ins s’ est renforcé, tout comme son ambition d’ immortaliser les modes de vie traditionnels qui disparaissaient peu à peu sous l’ influence de la culture et des technologies du Sud.

Une autre photo de James Jerome, prise lors des Jeux du Nord de 1979, à Inuvik, Territoires du Nord-Ouest.

En 1977, il a commencé à travailler comme photographe pour le Native Press, un journal qui n’ existe plus aujourd’ hui, et a occupé ce poste pendant huit mois avant de se lancer à son compte. Son art l’ a mené dans des régions reculées, et même dans le ciel, pour des contrats de photographie aérienne, mais il travaillait aussi en studio. Au Native Press, il a rencontré la professionnelle Tessa Macintosh, fraîchement débarquée à Yellowknife pour former des photographes des Premières Nations. « Il avait pris ce poste pour pouvoir étudier la photographie et apprendre sur le terrain, se souvient-elle. C’ était un emploi pour des reporteurs qui n’ avaient pas vraiment de formation en photo, mais qui en faisaient tout de même et qui aimaient ça. Nous avons commencé à travailler ensemble, parfois sur un même projet. Il avait ses propres intérêts, et il connaissait beaucoup de monde, alors il arrivait qu’ il parte de son côté, dans les terres et dans la brousse avec ses amis des Premières Nations. »

Au cours des deux années qui ont suivi, il a pris des milliers de clichés dans les Territoires du Nord-Ouest, notamment à Yellowknife et dans la région du Slave Sud. De nombreuses photos documentant les traditions des Gwich’ ins dans les camps d’ été et d’ hiver ainsi que les activités de trappe et de pêche le long du fleuve ont été prises dans la région de Beaufort-Delta. Le photographe s’ est également déplacé partout dans le Nord pour couvrir des événements d’ envergure, comme les Jeux d’ hiver de l’ Arctique et les Jeux du Nord d’ Inuvik, et il s’ est constitué un portfolio bien rempli de portraits, d’ autoportraits et de scènes villageoises contemporaines. Il développait ses images dans les chambres noires d’ un centre de recherche d’ Inuvik (qui est aujourd’ hui l’ Institut de recherche Aurora) et dans les bureaux du Native Press à Yellowknife.

Encore une photo de James Jerome, où l’ on voit des enfants jouant sur du bois flotté sur le fleuve Mackenzie.

Tessa Macintosh fait remarquer qu’ à l’ époque, il n’ était pas obligatoire de faire signer une décharge au sujet avant de le photographier. C’ est pourquoi une part importante du travail reposait sur le lien de confiance. « Il avait vraiment la passion et l’ œil, et aussi un rapport avec les peuples du Nord. Je suis retournée voir les listes de contacts sur le terrain de l’ époque, et c’ est évident qu’ il était en communion avec les gens. Il connaissait leur rythme, et n’ ennuyait jamais personne, parce qu’ il comprenait les vieilles traditions. La confiance se bâtit sur la proximité. James était toujours dans la tente d’ à côté, à manger avec les chasseurs. Et le connaissant, il aurait laissé son appareil là et serait allé chasser avec eux. C’ était un vrai homme des bois. »

Mais la carrière de ce photographe autochtone révolutionnaire a pris fin de façon abrupte dans un incendie à Inuvik, le 17 novembre 1979. Chose incroyable, des milliers de négatifs ont été sauvés des flammes par la partenaire de l’ artiste, Elizabeth Jansen Hadlari. En 1982, un portfolio constitué de plus de 9 000 négatifs a été remis aux Archives des TNO, en fiducie pour le compte du fils de Jerome, Thomas Hadlari. Ce dernier en a fait don aux Archives en 1995 pour que les futures générations puissent en profiter. Ces photographies, prises pendant la courte période où Jerome a pu s’ adonner à sa passion, forment un portrait de la vie des Gwich’ ins et des Dénés dont la valeur est inestimable. Il est présumé qu’ au moment de sa mort, le photographe travaillait sur un livre de portraits portant sur l’ histoire des aînés dénés de la vallée du Mackenzie. Son travail aurait été détruit dans l’ incendie qui a causé sa mort.

Aux dires d’ Erin Suliak, archiviste territoriale aux Archives des TNO, bon nombre des négatifs qui avaient survécu étaient gravement endommagés. Mais l’ organisme, en collaboration avec le Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles, a été en mesure d’ effectuer un travail de restauration essentiel pour stabiliser et préserver la collection. En 2008 2009, les Archives ont obtenu du financement du gouvernement fédéral pour concrétiser un projet d’ identification en partenariat avec le Gwich’ in Social and Cultural Institute (GSCI), dont le mandat est de « documenter, préserver et promouvoir la culture, la langue, les connaissances traditionnelles et les valeurs des Gwich’ ins ». « La réussite du projet est entièrement attribuable à ce partenariat, déclare l’ archiviste. Nous avons pu organiser des ateliers d’ identification dans le delta du Mackenzie, dans les communautés de Tsiigehtchic et de Fort McPherson. C’ était incroyable! Nous avons recueilli, auprès des aînés gwich’ ins, des renseignements sur les personnes, les endroits et les activités. Avec la GSCI, nous avons également obtenu les noms traditionnels gwich’ ins de tous les lieux, ce qui, pour moi, était un aspect très important de l’ entreprise. »

Ce travail a permis de cataloguer, avec des descriptions détaillées, plus de 3 500 photographies de James Jerome, qui ont ensuite été numérisées par les Archives des TNO au profit des futures générations.

Commandez maintenant

sur Amazon.ca ou Chapters.Indigo.ca, ou communiquer avec votre libraire ou marchand éducatif préféré