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atlas des peuples autochtones du Canada

Les populations autochtones en milieu urbain

Lenard Monkman est un Anishinaabe de la Première Nation du lac Manitoba, au Manitoba. Il écrit pour la section « Indigenous » de CBC et est cofondateur de Red Rising Magazine.

En octobre 2015, je me suis rendu à l’ Université du Manitoba pour assister à une conférence donnée par Pamela Palmater, une avocate, professeure, activiste et politicienne micmaque. Je me souviens à quel point j’ avais hâte d’ entendre parler l’ une de mes personnes préférées pour la première fois. De sa conférence, j’ ai en particulier retenu que la province du Manitoba a toujours été un haut lieu de la résistance autochtone au Canada. Mme Palmater nous a aussi expliqué comment la province a réprimé cette résistance : le Manitoba compte un nombre élevé de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées, et il y a une surreprésentation des personnes autochtones dans les milieux carcéraux et les organismes de protection de la jeunesse. Tout ce qu’ elle a dit ce jour-là reflétait la réalité dans laquelle j’ ai grandi.

Quelques années plus tard, plus précisément le 6 octobre 2017, Carolyn Bennett, la ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, annonçait un accord de principe pour compenser les membres des Premières Nations adoptés durant ce que l’ on appelle aujourd’ hui la « rafle des années 60 ». Cet accord de principe prévoit une compensation pour les personnes adoptées de 1951 à 1991. Avec lui, le gouvernement fédéral avouait enfin avoir arraché de force à leur résidence et à leur communauté des milliers d’ enfants autochtones, dont bon nombre ont été envoyés chez des étrangers et obligés à changer de nom de famille. Ceux qui ont eu la chance de rentrer chez eux ont dû surmonter une multitude d’ obstacles pour y arriver.

Marche de sensibilisation aux besoins en logements sûrs et abordables, Vancouver.

Dans le cadre de mon travail de journaliste, je lis chaque jour au sujet de ce que vivent les peuples autochtones, le bon comme le mauvais. Le jour où l’ on a appris que le gouvernement allait annoncer une compensation, on m’ a demandé de communiquer avec des survivants de la rafle des années 60 pour savoir ce qu’ ils en pensaient et recueillir leurs témoignages. Bien que déchirantes, les histoires que j’ ai entendues n’ avaient pas de quoi surprendre. Une femme m’ a raconté ceci : « Si ce n’ était du travailleur social qui mettait de la pression sur les habitants de ma réserve, j’ aurais grandi dans ma propre communauté, auprès de ma famille, et j’ aurais appris nos traditions, notre culture et nos cérémonies. »

Cette citation m’ a marqué, parce que ma famille immédiate a vécu la même chose. J’ ai une nièce qui est née en octobre 2017. Pendant que sa mère était encore à l’ hôpital, des travailleurs sociaux lui ont posé mille et une questions et ont tenté de l’ inciter à confier son nouveau-né à une famille d’ accueil. Je comprends que les travailleurs sociaux ne font que leur travail, mais je sais aussi que la pauvreté est l’ une des principales raisons pour lesquelles les enfants se retrouvent en famille d’ accueil. Et j’ ai pu moi-même constater que les jeunes parents sont nombreux à mal comprendre les rouages du système et à être peu outillés pour se défendre lorsqu’ ils risquent de se faire enlever leur enfant. Les ressources manquent souvent pour les jeunes parents autochtones, qui ont peut-être eux-mêmes déjà été sous la tutelle de l’ État. À l’ été 2017, mon neveu a été pris en charge à peine quelques jours après sa naissance. Il est devenu un pupille permanent de la protection de la jeunesse. Je ne l’ ai jamais revu depuis ma visite à l’ hôpital.

J’ ai des grands-parents qui ont été élevés dans les pensionnats indiens, des cousins qui ont été adoptés durant la rafle des années 60, et plusieurs nièces et neveux qui sont des pupilles permanents de l’ État. Une chose est sûre : les enfants autochtones se font encore prendre en charge et enlever de leur communauté, et à un rythme inquiétant. Les pensionnats indiens ont montré à l’ évidence que les conséquences des traumatismes et de l’ éducation familiale se répercutent sur des générations. De nombreux enfants de survivants des pensionnats indiens ont grandi sans l’ amour et le soutien nécessaires pour devenir de bons parents, ce qui a nui à beaucoup d’ enfants de la rafle des années 60. Ce cycle vicieux, qui découle du fait d’ être élevé sous la tutelle de l’ État, a eu des conséquences désastreuses pour l’ ensemble des communautés des Premières Nations.

Comment peut-on mettre fin à un cycle si systémique, répandu à si grande échelle, un cycle où, génération après génération, les personnes autochtones ont grandi coupées de leurs traditions, de leur langue, de leur communauté et de leur nation? Les enfants autochtones vivent aux crochets de l’ économie canadienne depuis la création du pays. Et je me demande sans cesse pourquoi. Est-ce uniquement à cause des terres et des ressources? Le gouvernement a-t-il peur que les communautés autochtones s’ épanouissent?

Il y a actuellement plus de 10 000 enfants pris en charge au Manitoba, et environ 90 % d’ entre eux sont autochtones. On sait aussi qu’ un bébé autochtone par jour est pris en charge à l’ hôpital. Le fait qu’ un si grand nombre d’ enfants soient des pupilles de l’ État aura des conséquences sur les générations à venir. Un jour, ces enfants seront devenus grands. Et à la lumière des recherches que j’ ai faites sur les jeunes de la rue au Manitoba, je peux affirmer que la majorité des sans-abri sont des gens qui ont passé leur petite enfance sous la tutelle d’ organismes de protection de la jeunesse. Qui plus est, CBC a publié en 2015 un article avançant que 70 % des détenus au Manitoba s’ identifiaient comme « autochtones ». Bon nombre d’ entre eux avaient aussi eu affaire à la protection de la jeunesse à un certain moment de leur vie.

Lorsque je présente ces informations aux gens, ils se demandent quelles sont les solutions. Pour ma part, je me dis souvent qu’ il doit y avoir un changement radical dans les politiques, qui devraient être axées sur la prévention. Cela pourrait passer, par exemple, par des investissements dans les communautés et les familles en difficulté, mais aussi par l’ enseignement de compétences essentielles qui aideront les personnes autochtones à survivre dans un monde qui les a reléguées en marge de la société. Personnellement, la meilleure chose que je puisse faire pour changer la donne, c’ est d’ être un bon père pour mon fils et ma fille dans le but de rompre tous les cycles qui ont marqué mon enfance.

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