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atlas des peuples autochtones du Canada

Économie

Darren Googoo habite à Membertou, en Nouvelle-Écosse, avec sa femme, qu’ il a épousée il y a 25 ans, et leurs trois enfants. Depuis 1994, il a été enseignant et administrateur d’ une école, et il est actuellement directeur des services pédagogiques de la communauté de Membertou de la Première Nation des Mi’ kmaqs. Il est titulaire d’ une maîtrise en éducation de l’ Université Mount Saint Vincent.

C’ était le genre de décision qu’ aucun leader ne veut avoir à prendre : nous avions un déficit d’ exploitation annuel d’ un million de dollars et le sort de 37 employés entre les mains. Le chef et le conseil de Membertou savaient qu’ ils devaient prendre des décisions difficiles concernant l’ avenir de leur communauté établie sur l’ île du Cap-Breton. S’ ils n’ agissaient pas rapidement, elle passerait aux mains d’ une tierce partie : un représentant fédéral d’ Affaires indiennes et du Nord Canada prendrait en charge cette communauté où il n’ avait probablement jamais mis les pieds. Le déficit d’ exploitation annuel s’ élevait à un million, pour un budget de quatre millions seulement : la situation n’ était pas viable, et tout le monde le savait.

C’ était en 1995. Terry Paul était chef (il l’ est toujours, d’ ailleurs). À l’ époque, la communauté de Membertou avait un taux élevé de pauvreté et de chômage. Le chef Paul et les membres du conseil se savaient à une croisée des chemins : soit ils ne faisaient rien, auquel cas la situation économique risquait de s’ aggraver, soit ils essayaient quelque chose de nouveau, une avenue inexplorée qui pourrait entraîner de réels changements dans la communauté. Ils ont choisi le changement.

Au cours des deux décennies qui ont suivi, la communauté a travaillé fort pour éliminer son déficit, créer des occasions de formation et d’ éducation pour ses membres, diminuer le chômage et rapatrier ses membres exilés pour qu’ ils contribuent à rendre la communauté dynamique et prospère. Aujourd’ hui, cette Première Nation est parmi les plus efficientes et viables au pays. Mais la voie du changement n’ a pas été de tout repos : il a fallu surmonter de nombreux obstacles.

Membertou Entertainment Centre, Nouvelle-Écosse.

Le plus gros défi était de créer un milieu attirant pour les Membertous ayant déménagé ailleurs. Par le passé, ceux qui obtenaient une scolarité devaient quitter leur terre d’ origine pour trouver du travail. Or, nous nous sommes rendu compte que bon nombre d’ entre eux s’ étaient spécialisés précisément dans les domaines sur lesquels nous voulions mettre l’ accent : la santé, l’ éducation et les affaires. À mesure que des postes étaient créés et modifiés au sein de la communauté, nous avons recruté systématiquement des candidats que nous connaissions, en appliquant une rigoureuse politique d’ embauche au mérite. C’ est ainsi que je suis revenu en 1997, à titre de directeur des services pédagogiques. Et je ne suis jamais reparti.

Nous savions que l’ éducation demeurait un problème. Après la fermeture de notre école en 1964, les élèves devaient aller étudier dans la ville voisine, soit Sydney, en Nouvelle-Écosse; les taux d’ assiduité et de diplomation étaient épouvantables. Lorsque la Loi sur l’ éducation des Mi’ kmaq a été adoptée en 1997, nous avons vu là une occasion de reprendre en main nos services pédagogiques. C’ est avec une grande fierté que nous avons réussi à ouvrir notre propre école primaire en 2015, et à l’ agrandir en 2017. Nous considérons les enfants comme la priorité absolue de notre communauté et continuons d’ investir dans la prochaine génération.

Le plus gros défi était de créer un milieu attirant pour les Membertous ayant déménagé ailleurs. Par le passé, ceux qui obtenaient une scolarité devaient quitter leur terre d’ origine pour trouver du travail.

Les membres de la communauté ont aussi décidé qu’ il fallait diversifier nos sources de revenus, afin que nos fonds ne proviennent pas uniquement du gouvernement fédéral. L’ avenue de l’ industrie du jeu a été proposée en 2000, et celle de la pêche commerciale, en 2001. La communauté a voté en faveur de ces deux plans. Certaines personnes craignaient une limitation de nos droits à l’ avenir, mais le conseil de bande a démontré que ces entreprises favoriseraient notre développement autonome, en insistant sur le fait que la volonté de la communauté serait toujours respectée.

Nous avons également été la première communauté autochtone à obtenir, en 2002, une certification ISO 9001. Bien plus qu’ une formalité administrative, cette certification montrait à la communauté que nous étions résolus à effectuer de grands changements, et prouvait que nous avions les ressources nécessaires pour les gérer, les orienter et les mener. Elle renforçait aussi notre crédibilité dans le monde des affaires. En 2015, nous avons obtenu un certificat en gestion financière pour montrer que nous préconisons des pratiques financières rigoureuses, la transparence et la reddition de compte envers les membres de notre communauté et nos partenaires.

Les efforts et les sacrifices des débuts se sont avérés extrêmement profitables au cours des vingt dernières années. En effet, nous employons aujourd’ hui 500 personnes, ce qui fait de nous le troisième employeur en importance dans la région. Cela dit, les leaders savent bien qu’ il ne suffit pas de créer des emplois pour assurer la viabilité de la communauté : il faut aussi créer de la richesse pour financer et faire fonctionner les nombreux programmes et services qui sont au cœur de la communauté de Membertou. La Membertou Gaming Commission aide à financer, entre autres, les programmes sociaux, le logement et les services pédagogiques. Avec notre entreprise de pêche commerciale, First Fishermen Seafood’ s, nous cumulons au total plus de trois millions de dollars en revenus annuels.

Nos associations avec des communautés et des entreprises des environs ont aussi joué un rôle déterminant. Nous avons notamment établi un partenariat tripartite avec la Première Nation d’ Eskasoni et la municipalité régionale du Cap-Breton afin de développer le port et le tourisme et de traiter d’ autres enjeux qui concernent les trois parties. Grâce à ce genre de relations, nous pouvons nous lancer dans de nouveaux projets en comptant sur l’ aide de partenaires motivés et capables. En 2016, d’ autres chefs micmaques de la Nouvelle-Écosse et nous avons signé avec Kameron Coal une entente qui a créé une source de redevances pour de nombreuses communautés. Nous avons aussi acheté une infrastructure de santé à l’ hôpital régional de Cap-Breton, ce qui nous permettra d’ offrir pendant quelques années des soins palliatifs et de longue durée aux membres de la communauté de Membertou. Enfin, nous nous sommes associés à l’ Université du Cap-Breton et à notre propre bureau des avantages économiques (Unama’ ki Economic Benefits Office, à Membertou) pour aider nos membres à acquérir les aptitudes nécessaires pour le marché du travail de demain.

J’ ai eu le privilège de voir notre communauté faire tout ce chemin. Des défis imprévus nous guettent peut-être, mais la meilleure façon de nous préparer, c’ est d’ éduquer nos enfants et de leur donner les meilleures occasions possible. Nous voulons éviter que nos jeunes soient obligés de partir pour réussir dans la vie. Tant que nous continuerons de bâtir une communauté dynamique et prospère en misant sur nos jeunes, l’ avenir nous sourira.

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