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atlas des peuples autochtones du Canada

Le lien avec la terre

Jamie Pashagumskum appartient à la Nation des Cris de Chisasibi, une communauté du Québec située sur la côte nord de la baie James. Inscrit à des études en journalisme à l’ Université Carleton, il vit avec sa famille à Nepean, en Ontario.

Carte illustrant les territoires cris traditionnels dans le Québec actuel.

J’ ai grandi sur la réserve indienne de la communauté de Chisasibi (« grande rivière », en cri). J’ adorais écouter mon père, Stephen Pashagumskum, raconter les folles aventures de sa jeunesse au grand air. Il est né le 12 mai 1947 dans un tipi au fin fond de la forêt, sur les berges d’ un lac du Québec aujourd’ hui disparu. À la fin des années 1970, le lac a été détruit par une inondation qui avait été provoquée pour créer le réservoir de Caniapiscau, dans le cadre du Projet de la baie James d’ Hydro-Québec.

Dans le temps de mon père, les gens de mon peuple avaient la tradition de se rassembler l’ été sur l’ île de Fort George, là où la rivière de Chisasibi se jetait dans la baie James. Au printemps, les familles cries migraient vers cet endroit en prévision de la saison estivale. Arrivées en canot, elles aménageaient leur coin de terrain préféré pour y installer les tipis côte à côte, en cercle.

Tous les campements étaient dressés de cette façon, avec une aire commune centrale où les enfants pouvaient jouer. La plupart des familles habitaient des tipis, mais celles qui en avaient les moyens – souvent parce que la trappe avait été bonne ou la traite des fourrures prospère – avaient des tentes de prospecteur.

L’ île était un lieu de réunion, où les Cris pouvaient renouer contact avec la famille et les amis. C’ était aussi un lieu de célébration, où se déroulaient des mariages et la cérémonie des premiers pas, qui marque le premier contact entre les tout-petits et le sol.

Avant les réserves, le mode de vie des Cris était traditionnel.

À la fin de l’ été, les familles démontaient les campements et retournaient les dresser sur leur territoire de chasse respectif pour l’ automne et l’ hiver. Le territoire de chasse de ma famille se trouvait en amont de la rivière, dans une région appelée Caniapiscau. L’ habitation traditionnelle en hiver était le mihtukan, qui signifie « tipi de bois ». Il ressemble au wigwam, sauf qu’ il est couvert de bois au lieu de toile et isolé par du gazon. Cet abri pouvait accueillir jusqu’ à trois familles, petites ou grandes. Contrairement aux habitations d’ aujourd’ hui, les maisons traditionnelles cries étaient modulables et facilement amovibles.

En 1980, craignant que l’ île ne soit détruite par l’ érosion, le gouvernement nous a forcés à abandonner les lieux pour déménager à Chisasibi. (En fin de compte, ce scénario ne s’ est jamais produit, même que l’ île est encore fréquentée de nos jours.) Passer en une seule année de vivre de la terre à habiter un village moderne, c’ était une transition abrupte. Une transition qui a servi à couper le lien des Cris avec la terre, de multiples façons.

Mihtukan, hutte de bois traditionnelle, Chisasibi, Québec.

Aujourd’ hui, comme c’ est le cas pour bien d’ autres Premières Nations du Canada, les Cris de l’ Est de la baie James habitent des maisons modernes, bâties pour le compte de l’ administration locale et financées en partie par le Programme de logement sans but lucratif dans les réserves de la Société canadienne d’ hypothèques et de logement. Il s’ agit pour la plupart de logements hypothéqués par la bande. Malheureusement, étant donné le faible taux d’ emploi et le coût élevé de la vie, il est difficile de percevoir les loyers sur la réserve. Résultat : avec ses maigres revenus, l’ administration locale manque d’ argent pour l’ entretien des logements, qui se délabrent rapidement dès qu’ ils sont surpeuplés. La surpopulation, un effet de la pénurie de logements, peut entraîner des problèmes sanitaires, comme la moisissure, et des difficultés à l’ école chez les enfants. En effet, les jeunes dorment souvent mal à la maison, ce qui se répercute sur leur capacité d’ apprentissage. Cette situation est bien loin du mode de vie traditionnel des Cris.

Encore maintenant, mon père garde de beaux souvenirs de sa jeunesse, loin des tracas, et il réfléchit souvent à sa vie. Dans le temps, se souvient-il, chaque famille avait sa maison à elle. Dès qu’ un couple se mariait, il partait vivre dans sa propre habitation, généralement un mihtukan, mais parfois aussi un tipi ou une tente lorsqu’ il était en déplacement. Tout a changé quand les Cris ont dû quitter leurs terres pour aller dans les réserves. Ce changement a divisé les familles et, par ricochet, toute la Nation crie. À partir de ce jour, tout a été fait selon la volonté de waamishtikushiiu, l’ homme blanc. Notre société est, petit à petit, devenue de plus en plus matérialiste : la priorité est passée de survivre à acquérir des biens.

Avant les réserves, le mode de vie des Cris était traditionnel. Mais après, ils ont commencé à prendre goût aux commodités modernes, comme la plomberie et l’ électricité, et au fait d’ avoir un hôpital dans le village. Malheureusement, ils sont aussi devenus dépendants. Alors qu’ ils pouvaient autrefois passer jusqu’ à six mois dans les terres, de l’ automne au printemps, à chasser et à trapper, la plupart se contentent maintenant du Congé de chasse à l’ oie deux semaines par année. Il existe des programmes visant à enseigner aux enfants notre culture et notre langue, mais ces solutions semblent souvent n’ être qu’ un baume sur la plaie, qui est profonde.

Mon père a toujours dit que sans mon grand-père, David Pashagumskum, sa famille n’ aurait pas si bien survécu. Il répétait souvent : « Prenez soin de ce territoire, et ce territoire prendra soin de vous. » Il est primordial d’ écouter les enseignements de nos aînés, sinon nous risquons de tout perdre, ce que nous avons et qui nous sommes.

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