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atlas des peuples autochtones du Canada

Environnement naturel

Établi à Yellowknife, Paul Andrew est un Shutoatine (Déné des montagnes) de Tulita, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il a grandi sur le territoire et a passé sept ans dans un pensionnat indien.

Un aîné déné, du nom de Willie, s’ assit sur un rondin. Il avait le sourire facile, riait beaucoup et dégageait le calme. Issu d’ une famille respectée et attachée à la tradition, il ne renonçait pas facilement. Lui-même respectueux des traditions, il était à la recherche d’ un héritier à qui transmettre son savoir et sa sagesse. C’ est ce que les siens faisaient : retransmettre ce qui avait été transmis.

Mais à qui? Qui était assez humble? Qui avait la discipline requise?

Willie remarqua un jeune homme, voûté et chancelant. Il ignorait son nom, alors il décida de l’ appeler « Déné Sans Nom ». Willie savait que les gens qui se laissaient aller à contempler l’ eau, le feu et la terre recelaient en eux une richesse profondément enfouie. C’ était une connexion au monde. Une façon que la Nature avait de rappeler aux Dénés qu’ ils n’ étaient pas seuls et ne devraient jamais l’ être.

Déné Sans Nom s’ installa au bord du fleuve Mackenzie. Un billot flottait. Non loin, un couple de goélands juvéniles becquetait. Un homme remontait le courant à la rame en canoë; cela lui rappelait son grand-père.

Son grand-père! Ça alors, c’ était un sacré conteur d’ histoires. Tantôt drôles, tantôt enrageantes. Parfois émouvantes au point de faire pleurer Déné Sans Nom.

Lui-même respectueux des traditions, il était à la recherche d’ un héritier à qui transmettre son savoir et sa sagesse.

Déné Sans Nom pouvait entendre la voix de sa grand-mère dans le murmure du vent qui arrivait des montagnes : « Prends soin des aînés, instruis les jeunes. Occupe-toi des orphelins et des handicapés. Tu peux faire mieux. Tu sais ce qu’ il faut faire. »

Assis sur la rive de l’ immense fleuve, il contemplait les enfants sur la plage qui s’ amusaient comme des fous, nageant, riant et jouant dans l’ eau. À ce moment, il souhaita pouvoir recommencer sa vie à zéro.

Comme une boule au creux de son ventre, le sentiment le suivait constamment, insidieux, inchangeant. Il était un échec. Il n’ était rien.

Ce sentiment s’ accompagnait toujours d’ une grande tristesse.

Il voulait être ailleurs, faire autre chose, avec quelqu’ un d’ autre. Cette idée lui traversait souvent l’ esprit ces temps-ci, car ses journées étaient devenues routinières et insipides. Se lever, aller à la toilette, faire pipi, se gratter, manger et regarder la télé. Faire les courses, revenir à la maison, regarder la télé encore. Manger. Regarder la télé. Dormir.

Parlant peu l’ anglais, il avait adopté en apparence le mode de vie « blanc ». Il essayait parfois de se conformer au 9 à 5, habitait dans le même genre de maison que ses voisins et faisait plein de choses pour être des leurs. Sauf qu’ il ne deviendrait jamais blanc. À l’ école, on ne l’ avait pas préparé à survivre sur le marché du travail salarié.

Le plus triste dans l’ histoire, songea-t-il, c’ était l’ échec des siens. « Ils n’ ont pas réussi à m’ enseigner à être un Déné. Je tangue entre un monde et l’ autre, mais les gens n’ en ont rien à faire. »

Il regarda ses mains : brunes. Il avait la même couleur de cheveux que les Dénés, le même accent qu’ eux, mais il n’ était pas l’ un d’ eux. Il parlait un peu la langue, il en comprenait les rudiments, mais il perdait le fil quand les aînés abordaient des sujets comme le fait d’ être Déné, le grand Univers, la légende de Yamoria ou leur récit de la Création.

Déné Sans Nom se leva et vacilla jusqu’ au fleuve ancien.

La colère éclata dans le creux de son ventre. Car après la grande tristesse venait toujours la haine. C’ était triste de voir des gens heureux. En marchant, le jeune homme sentit se dissiper le chagrin et la rage. Où allait-il? Il l’ ignorait, mais c’ était sans importance.

Tout à coup, une pensée surgit. Malgré les changements qu’ il avait connus depuis son enfance, tout restait pareil. L’ eau nourrissait et nourrirait toujours la vie. Les animaux, les oiseaux et les poissons continueraient de faire leur travail pour que le monde survive. Tout comme le vent, le ciel, le soleil et la lune.

Déné Sans Nom contempla le fleuve. Aussi loin qu’ il se souvienne, la nature avait toujours éveillé quelque chose dans les tréfonds de son âme. Les yeux sur l’ eau, il sentit ce quelque chose monter encore en lui, mais il le refoula.

Rien à faire : les pensées affluaient. D’ où vient l’ eau? Où va-t-elle? Le fleuve a-t-il une maison? Qu’ est-ce que je fais? Le Créateur sait ce qu’ il a à faire et s’ en donne à cœur joie, même s’ il doit enlever des vies pour les donner à d’ autres. Que suis-je?

Désemparé, Déné Sans Nom referma vite la valve de son cœur. Il préférait se complaire dans la tristesse et la colère.

N’ est-ce pas magnifique?

Déné Sans Nom sursauta. Il n’ avait pas entendu l’ homme avant, tant il était plongé dans ses pensées.

Euh… ouais.

Je vais au ruisseau Blue Fish. Tu m’ accompagnes?

Déné Sans Nom ne voulait pas. Il avait peur que Willie découvre combien peu il en savait sur la terre, l’ eau ou les poissons. Il voulait dire non, mais son cœur lui dictait autre chose : « Tu dois être sur l’ eau. »

Les arbres et les montagnes du paysage se reflétaient sur le fleuve, si calme. Déné Sans Nom sauta dans le bateau.

Le fleuve fit émerger des souvenirs d’ une époque révolue. Bien vite, le jeune homme se mit à fouiller l’ eau et la plage du regard. Il pouvait entendre son grand père : « Ne cherche pas de roches ou de bois sur la plage, cherche des choses qui ne devraient pas être là. »

Ses autres sens se ravivèrent. Il s’ habitua au bruit du moteur hors-bord et des vagues qui se brisaient contre l’ embarcation, et il prêta l’ oreille aux autres sons, comme le souffle du vent et de l’ air. L’ odeur du ruisseau, de la terre et de l’ eau lui monta au nez. Quel délice, c’ était presque comme si Déné Sans Nom pouvait goûter la nature. Il sentait la douce caresse du soleil sur son visage, la fraîcheur de l’ air.

Loin à l’ horizon, sur la rive de la plage… une forme se dessinait! Trop sombre pour être une souche. Déné Sans Nom plissa les yeux. Mais qu’ est-ce que c’ était?

Attends, on dirait que ça a bougé!

Déné Sans Nom se tourna vers Willie pour lui pointer la chose, mais le vieil homme l’ avait déjà vue. « Ours », souffla-t-il.

Déné Sans Nom ramena son regard sur l’ eau, un sourire de fierté au visage. Mais le sourire de Willie était plus grand encore : Voilà quelqu’ un qui peut apprendre! Il y a de l’ espoir!

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