EN | FR

atlas des peuples autochtones du Canada

Arts et culture

Towa’ w : il y a de la place, il y a un passage; il y a du temps. Hiy-hiy, payukwun : merci; nous ne faisons qu’ un. Veronica Johnny est d’ ascendance crie, dénée, française et écossaise. Membre de la Première Nation des Chipewyans d’ Athabasca, elle est artiste entrepreneure multidisciplinaire, et donneuse de vie

L’ artiste Veronica Johnny.

En tant qu’ être bispirituel à l’ héritage mixte, j’ oscille bien souvent entre deux mondes. On a dit de moi que j’ étais une médiatrice, une gardienne de la paix et une artiste enjouée. Par mon art, je cherche à exprimer ma réalité tout en explorant l’ identité dans toute sa complexité, et mes véhicules sont ceux des Autochtones depuis toujours : la musique, les arts visuels et le récit. L’ expérience m’ a appris que l’ art est l’ un des meilleurs instruments pour combler le fossé entre les peuples autochtones et non autochtones. Dans mes œuvres, comme dans celles de nombreux artistes autochtones, le traditionnel et le contemporain se marient. Je forme le contraire et l’ analogue.

Je suis née à Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest. J’ ai grandi en m’ identifiant aux Métis, et ce sont les racines cries de ma mère qui m’ ont le plus influencée. À mes oreilles, le rythme et les douces inflexions de notre langue sont une musique réconfortante qui m’ ancre dans les traditions anciennes. Dans la trentaine, je me suis jointe à la Première Nation de mon père, celle des Chipewyans d’ Athabasca (Dénés). C’ est une des fois où mon identité a changé.

Je suis devenue musicienne dans la vingtaine, apprenant d’ abord à jouer de la guitare. Ensuite, j’ ai commencé à chanter et à me produire comme compositrice-interprète, en m’ accompagnant moi-même, et dans des groupes de reprises. Après notre rencontre, mon mari Dave Johnny et moi avons fondé un groupe de rock’ n’ roll énergique appelé The Johnnys, avec lequel nous interprétons des chansons originales.

J’ ai fait de ma culture une priorité dans ma vie et dans ma carrière. C’ est pourquoi je travaille comme coordonnatrice de langue crie dans ma ville natale (où j’ organise aussi des événements comme le pow-wow local). J’ offre également des cours sur le tipi aux jeunes et je m’ occupe d’ un spectacle d’ humour sur les aînés et les récits traditionnels. Une grande partie de mes démarches ont une visée commune : la guérison, que ce soit par le rire ou la représentation positive de notre peuple.

Un jour, une personne m’ a donné un tambour chamanique double peau que son grand-père avait fabriqué à la manière traditionnelle. J’ ai ensuite reçu un deuxième tambour d’ un aîné de Vancouver, puis un troisième, ce qui a marqué le début de mon parcours de porteuse de tambour. Je n’ avais pas l’ impression de mériter cet honneur, mais j’ ai accepté le fait que la décision relevait de mes ancêtres, et non de moi.

Par mon art, je cherche à exprimer ma réalité tout en explorant l’ identité dans toute sa complexité…

D’ après certaines croyances autochtones, les tambours sont sacrés. Ils le sont pour moi. Et le rythme le plus éloquent est celui du cœur, une cadence lente constituée de deux battements, dont l’ un est accentué, qui touche profondément les personnes de toutes origines. Avant notre arrivée en ce monde, dans le ventre de notre mère, le tout premier son que nous entendons est celui du cœur. Tous les êtres vivants sont unis par ce souvenir. Le tambour représente les battements de cœur de la Terre-Mère, et ses vibrations ont des propriétés guérisseuses.

La première chanson que j’ ai enregistrée au tambour était dédiée à ma mère, Tina McNeill. Intitulée Ne Mama (Ma mère), elle est constituée de vocables traditionnels, de paroles en cri et d’ un hommage en anglais superposés à un rythme traditionnel de tambour et de hochet. La mélodie au piano est tirée d’ une berceuse que ma mère me chantait. Toute la puissance de la pièce réside dans l’ assemblage de ces éléments.

La musique et l’ art ont un véritable pouvoir de guérison, pour le créateur comme pour le simple observateur. Elles aident les gens à trouver leur voix et à s’ exprimer. La musique nous rassemble, tout comme le font les oiseaux, par milliers, grâce à leur chant. D’ ailleurs, je le vois souvent quand je joue du tambour : les gens réagissent sans même savoir pourquoi.

Mon nom spirituel est Meadow Valley Woman, et sa traduction en cri, muskose’ wukaw pussa’ w iskwao, a une signification particulière pour moi. C’ est dans le pré (meadow), ou muskose’ wukaw, que poussent les herbes médicinales comme le foin d’ odeur qu’ affectionne ma grand-mère pour la purification. Une vallée (valley), ou pussa’ w, est creuse. On m’ a enseigné, quand je joue du tambour, à me figurer être un os creux, un canal pour la chanson.

Percussionnistes, jour anniversaire du traité de la Première Nation des Chipewyan d’ Athabasca, 2011.

Ces enseignements m’ ont aidée à intégrer la culture traditionnelle à ma musique, qui traite, à l’ image de celle d’ autres fiers pionniers autochtones, de purification et de cérémonie, de célébration de la Terre-Mère, du pouvoir matriarcal et des femmes autochtones disparues et assassinées. Comme artistes et musiciens, nous sommes encore plus à même que les politiciens et les avocats de provoquer un changement positif, parce que nous avons le pouvoir d’ exprimer nos idées et de toucher les émotions. Et au bout du compte, c’ est dans le cœur et non dans la tête que le changement doit s’ opérer.

De mon point de vue, le secret est d’ embrasser la culture traditionnelle tout en survivant et en s’ épanouissant dans le monde contemporain. Ce principe me tient particulièrement à cœur, en tant que personne bispirituelle, à la fois porteuse de tambour et chanteuse rock, parce qu’ il me permet de célébrer différentes parties de mon être.

Les artistes qui savent conjuguer enseignements traditionnels et messages contemporains sont toujours une source d’ inspiration pour moi. Buffy Sainte-Marie a eu une grande influence sur mon travail. Dans les années 1970, Link Wray, Redbone et Jesse Ed Davis ont contribué à illustrer la diversité des nations autochtones. Et aujourd’ hui, je suis motivée par des artistes comme Jackie Traverse et Pura Fé, que je respecte et admire.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, de nombreuses joueuses de tambour sont critiquées par des membres des communautés qui croient qu’ elles ne sont pas à leur place. J’ ai été soulagée d’ apprendre que plusieurs de mes ancêtres féminines avaient été acceptées comme porteuses de tambour. Cette découverte m’ a aidée à affronter la négativité et a inspiré certaines de mes chansons sur le pouvoir des femmes.

En tant qu’ Autochtones, nous devons sans cesse combattre les idées reçues et défricher de nouvelles voies. Ce sont des défis que j’ ai eu à surmonter à maintes reprises dans ma carrière, au sein d’ industries dominées par les hommes. Je m’ inspire des leaders qui m’ ont précédée, et leur suis reconnaissante de m’ avoir permis d’ être là où je suis aujourd’ hui. Et je souhaite que notre peuple aille encore plus loin. Nous sommes les descendants d’ une longue lignée d’ êtres humains forts et résilients qui sont passés par plus d’ épreuves que nous n’ en connaîtrons jamais, et qui se sont tenus droits et fiers depuis des temps immémoriaux.

Commandez maintenant

sur Amazon.ca ou Chapters.Indigo.ca, ou communiquer avec votre libraire ou marchand éducatif préféré