Cartes
Éradication et réintégration de la présence autochtone
LONGTEMPS, LA CARTOGRAPHIE a été une entreprise impériale visant à revendiquer un territoire et à imaginer l’ étendue géographique des empires. À cette fin, elle a été un instrument de l’ éradication des Autochtones, redessinant le monde sans tenir compte de leur présence et des terres qu’ ils occupaient, gouvernaient et utilisaient. Quand le Canada envoya des arpenteurs dans les Prairies, dans les années 1870 (son plus ambitieux projet de cartographie), il réorganisa les lieux en lots de 640 acres (2,6 kilomètres carrés), au mépris des caractéristiques géographiques et des frontières territoriales autochtones.
Mais les pouvoirs impériaux ne sont pas les seuls à dessiner des cartes; les Autochtones aussi en conçoivent pour ramener à l’ écrit les anciennes façons de délimiter les espaces géographiques et remplacer les frontières des États-nations, des provinces et autres délimitations par des frontières qui leur sont propres. Ainsi, comme par le passé, cartographier les espaces protège les Autochtones de l’ éradication impériale, un processus fondamentalement politique, puisqu’ il s’ agit de dessiner le monde. Qu’ elle serve à créer un monde occultant les conceptions autochtones d’ espace, de lieu et de territoire ou un monde de fraternité autochtone durable, la cartographie va de pair avec la vision que nous avons du monde dans lequel nous vivons.
De tout temps, les peuples autochtones ont dessiné des cartes. Les différents territoires sont mentionnés dans les récits – on assimile leurs formes à des humains ou à des animaux – et, plus récemment, représentés dans le remaniement complet des frontières, des régions et des lieux considérés comme « établis » aux yeux des États colonisateurs (bon nombre figurent dans le présent volume). Nos communautés ont depuis toujours utilisé des cartes visuelles et conceptuelles pour administrer l’ utilisation du territoire, gouverner les terres exploitées par les familles, définir les limites entre notre territoire et ceux de nos voisins et consigner les endroits à laisser aux autres espèces de notre grande famille – comme leurs lieux d’ hibernation l’ hiver ou de mise bas au printemps. Les représentations visuelles et conceptuelles des territoires autochtones, c’ est-à-dire la cartographie autochtone, existent donc depuis que nous peuplons le territoire.
Ces deux pratiques de la cartographie entrent souvent en conflit. Ce n’ est pas un hasard si l’ un des affrontements les plus célèbres de l’ histoire canadienne avec des peuples autochtones opposait ces derniers à des arpenteurs essayant de redessiner le territoire traditionnel de la Nation métisse. Le 11 octobre 1869, André Nault surprend des arpenteurs canadiens qui prennent des mesures sur son territoire, dans la vallée de la rivière Rouge. Il demande alors à son cousin, Louis Riel, de lui prêter main-forte pour les chasser de son lot riverain.
… nous pouvons imaginer un monde nouveau – un monde édifié sur la persévérance et la résurrection politique des Autochtones.
On raconte que Riel a posé le pied sur la chaîne des arpenteurs et a déclaré : « Vous n’ irez pas plus loin. » Les Métis avaient leurs propres coutumes et protocoles en ce qui concerne la délimitation des lots riverains et la répartition des terres. L’ arpentage et la cartographie avaient déjà des conséquences connues de tous au 19e siècle, et les Métis savaient très bien que l’ objectif était de grignoter leur territoire.
Aujourd’ hui, « recartographier » (et peut-être aussi « décartographier ») le territoire actuellement revendiqué par le Canada nous permet de faire valoir la présence autochtone permanente sur nos terres traditionnelles. Mais au-delà de cette volonté, en réinstaurant notre présence sur le territoire, nous pouvons imaginer un monde nouveau – un monde édifié sur la persévérance et la résurrection politique des Autochtones. En remplaçant la représentation conventionnelle que nous montraient les cartes de géographie accrochées au tableau à l’ école primaire, nous pouvons dépoussiérer du même coup le monde politique tel que nous le connaissons.
En redessinant notre monde, nous en imaginons aussi un très différent, plus que nécessaire à une époque où il faut lutter contre une instabilité omniprésente. Quoique couchées sur papier depuis peu, les cartes autochtones représentent un territoire plus vieux que le Canada, des lieux que nous considérions – et considérons encore – comme notre territoire traditionnel. Ainsi, dessiner de nouvelles cartes nous aide à mieux comprendre les liens politiques qui unissent les lieux où nous vivons, tout en brisant le monopole du Canada sur la cartographie. C’ est un rappel visuel de l’ endroit où les peuples autochtones continuent de vivre et d’ entretenir leurs rapports de longue date à la terre.
À l’ ère de la réconciliation, si nous voulons dépasser le discours creux de « l’ amélioration des relations entre Canadiens et Autochtones », nous devrons avoir une sérieuse discussion à propos de la terre, du territoire et de l’ accès à ce dernier. Les différentes visions du monde que propose le présent volume seraient un bon point de départ. L’ appel à la réconciliation et à la réparation engendrera inévitablement une certaine forme de restitution des terres; le présent atlas présente justement le genre de transformation et de nouveau monde dont nous avons urgemment besoin.
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